PAR : Yves Gabel
Membre du Conseil de l’Association baptiste, pasteur, Église protestante évangélique de Wavre

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À Bible ouverte
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Connaissez-vous la fable de Yotam ? Ce texte du livre des Juges (9.7-15) nous raconte l’histoire des arbres qui partent à la recherche d’un roi. Mais que peut-il bien signifier ?

Pour le comprendre, plongeons-nous dans le contexte. Le récit se situe dans une période trouble de l’histoire du peuple hébreu. Après sa sortie d’Égypte, le peuple s’est installé en Canaan où il doit encore trouver sa place au milieu d’autres peuples. Israël est alors constitué en tribus, mais n’a pas encore de référence et de cohésion nationale. Surgissent quelques problèmes de taille : d’une part, des populations locales ou voisines viennent les déranger ; d’autre part, les Hébreux sont tentés d’abandonner leur foi pour s’attacher à d’autres dieux. À cause de cela, des chefs sont désignés : on les appelle les juges. Ils ont autorité pour diriger le peuple, ou pour délivrer telle tribu en difficulté. Mais, à la longue, ce leadership ne semble plus suffisant : certains pensent qu’ils auraient besoin d’un roi, à l’instar de toutes les nations voisines.

roi devant un temple antique

Seulement voilà, à l’époque, ce n’était pas une idée anodine. Car un roi, c’était aussi un dieu, ou presque. En tout cas, il avait bien souvent des attributs divins. Le risque est donc grand qu’un roi, après avoir été couronné, détourne le peuple de l’Éternel, le seul vrai Dieu. D’ailleurs, au fil de l’histoire d’Israël, la plupart des prophètes se trouveront en opposition à la royauté.

Peu avant cette histoire, Gédéon (alias Yeroubbaal) – celui qui avait sauvé le peuple de l’incursion des Madianites – meurt. Et le peuple retourne à ses anciens démons. Le fils d’une concubine de Gédéon, Abimélek, fait alors campagne pour être roi de la ville de Sichem, probablement non sans influence sur le reste d’Israël (Jg 9.22). Mais auparavant, pour y parvenir, il assassine septante de ses frères (fils légitimes de Gédéon) pour n’avoir aucun concurrent. Un seul en réchappe : Yotam. C’est lui qui raconte alors, aux anciens de Sichem, cette fable des arbres avant de s’enfuir loin de son cruel et dangereux frère.

Que veut-il dire avec cette fable clamée du haut du mont Garizim ?

Les trois premiers arbres cités revêtent dans la mentalité hébraïque une importance symbolique. Tout comme le renard évoque la ruse dans notre culture, dans la Bible, l’olivier, le figuier et la vigne pourraient être reliés à trois réalités spirituelles majeures :

  • L’olivier et son huile évoquent les multiples dons de Dieu pour nous, en particulier sa bénédiction.

  • Le figuier et ses fruits charnus évoque dans le judaïsme l’étude assidue et bienheureuse de la Torah et des commandements.

  • La vigne et son vin évoquent les bons fruits produits par le peuple de Dieu, c’est-à-dire l’amitié, l’amour de Dieu, la fidélité, le bien-vivre ensemble.

La première démarche des arbres pourrait donc être tout à fait sympathique : ils proposent à ces fameuses dimensions spirituelles de régner sur eux. Évidemment qu’il faut que règnent sur la société l’olivier de la bénédiction, le figuier de l’abondance ou la vigne des fruits de l’amour de Dieu et des autres. Et pourtant, ces arbres déclinent la proposition. Le pouvoir revient alors au buisson d’épines, qui ne porte jamais de fruits, qui blesse et peut aussi mettre le feu à une forêt !

buisson d'épines

Si Yotam vise probablement avant tout ici à critiquer sans ambages le choix des notables de Sichem en faveur de son frère, buisson d’épines qui finira effectivement par provoquer leur ruine, la fable n’est pas sans m’inspirer quelque méditation pour aujourd’hui.

Dans le domaine de la société humaine, il est toujours très tentant de vouloir que la religion (ou l’Église) gouverne les affaires du monde. Chaque fois que cela s’est produit, les sociétés ont été conduites à la catastrophe. Pas seulement quand des Ayatollahs lointains sont au pouvoir… Le rôle de la religion ou de la spiritualité n’est pas de prendre le pouvoir ni de manipuler le monde par l’agitation politique ou sociale violente. Le rôle de la foi est d’apporter au monde la bénédiction, la joie, la paix, la douceur, et autres fruits de vie que seule une vie spirituelle en Dieu peut apporter.

C’est ce que Jésus choisit de vivre en disant : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mc 12.17). C’est ce que Jésus a choisi de vivre le jour des Rameaux quand il a refusé d’être élevé comme roi par la foule de Jérusalem. C’est précisément cela qui a déçu beaucoup de ses amis qui pensaient que le Messie devait s’engager comme militant politique ou comme chef militaire pour libérer Israël. Or voilà que le Christ vient seulement en parlant d’amour, de conversion du cœur, de bonheur, de pardon et de fidélité à Dieu. Jésus ajoute qu’entre croyants, nous n’avons pas à entretenir de relations de pouvoir comme on le fait dans la société civile (Mt 20.20-28). Il ne doit y avoir ni gagnant ni perdant, mais des serviteurs.

vigne

Ainsi, comme l’olivier, le figuier et la vigne de la fable, Jésus-Christ a refusé le pouvoir que certains lui proposaient. Sa mission d’amour lui imposait une autre destinée.

Tout ceci ne veut pas dire que le pouvoir, les règles et les lois ne doivent pas exister. Dans sa fable, Yotam ne remet pas en cause l’existence du pouvoir. Il faut bien que le monde soit gouverné, mais le roi pourrait bien être à l’image du buisson d’épines.

Or à quoi peut bien servir un buisson d’épines ? Il n’est pas « productif », il ne porte pas d’olives, ni de figues, ni de grappes de raisin. Le pouvoir ne peut pas nous nourrir véritablement. En revanche, « la soif du pouvoir » existe. Mais c’est une soif qui ne désaltère jamais, qui en demande toujours plus… Le pouvoir en lui-même ne procure ni bonheur ni vie.

Cependant, le buisson d’épines peut remplir un rôle bien spécifique et indispensable. Celui de la protection. Sans lui il ne peut y avoir de vie possible. Dans beaucoup de contrées du monde, aujourd’hui encore, les épineux sont indispensables pour fabriquer des enclos de fortune pour contenir le bétail, pour protéger un groupe de maisons contre les bêtes sauvages ou des ennemis, pour clôturer des champs, et aussi comme coupe-vent, particulièrement contre l’avancée des sables du désert.

Nous avons besoin d’une organisation, d’un pouvoir, de règles, de lois qui garantissent la possibilité de vivre, qui donnent un cadre pour la vie. Sans feux rouges, sans parlement, sans lois communes, toute société s’effondrerait dans l’anarchie, le chaos et la violence des uns contre les autres. Tout le monde ferait la loi, sa loi.

On pourrait donc dire qu’il faut bien des buissons qui nous protègent. Mais encore faut-il vivre et que ce que nous vivons puisse avoir du sens. Encore faut-il que les autres arbres, ainsi protégés, puissent avoir les moyens de produire leurs fruits. C’est peut-être aussi ce que nous oublions si souvent dans notre société occidentale. Nous passons tellement de temps à vouloir tout cadrer, tout organiser, tout baliser, que nous oublions de travailler à l’essentiel : prendre le temps pour faire grandir nos fruits intérieurs.

C’est un peu comme si nous ne nous intéressions qu’au buisson d’épines : que de temps passons-nous à régler nos affaires courantes ! Il n’y a jamais eu d’époque dans l’histoire de l’humanité où il y ait autant de lois et autant de machines pour nous aider. Et pourtant, c’est comme si ce n’était jamais fini… Bien sûr, il est important de prendre soin de son buisson d’épines, mais il n’existe que pour permettre à la vraie vie de s’épanouir à l’intérieur du périmètre qu’il protège. Ce n’est pas pour lui que nous devons vivre. Mais c’est pour soigner nos arbres, pour qu’ils portent de bons fruits. Si nous ne soignons que notre buisson d’épines, il finira par tout envahir et par étouffer ce qu’il était censé protéger ! Tel sera d’ailleurs bien la destinée d’Abimélek.

Cette fable de Yotam me fait réfléchir à ce qui est vraiment important : ma vie, le sens de celle-ci, ses fruits, notre avenir commun (en Église et en société).

Que voulons-nous mettre au centre de notre vie ? Les règles de notre vie trépidante ? Les lois du marché économique ? Le pouvoir de l’argent ? Les lois de la force brutale ? Notre être intérieur peut-il se satisfaire de cela ? Ou désirons-nous mettre au centre de notre vie, comme les arbres de la fable dans un premier temps, les fruits de la bénédiction, les fruits des commandements de vie, et ceux de l’amour, du bien vivre ensemble ?

Si tel est notre désir, alors il n’y a pas une minute à perdre. Profitons de chaque instant pour les soigner, pour « perdre notre temps » à faire ce que nous ne faisons pas d’habitude : prendre du temps pour l’essentiel. Apprenons à porter du fruit comme les trois arbres symboliques de la fable.

De l’olivier, nous pourrions réapprendre à bénir (dire du bien) tous ceux qui sont autour de nous, à rendre grâce pour tout, à recevoir les bénédictions de Dieu sur notre être.

Du figuier, nous pourrions réapprendre à chercher l’intimité avec Dieu au travers de sa parole. Lire et connaître la Bible, pour y découvrir peu à peu une Parole qui nous rend à la vraie vie.

De la vigne, nous pourrions réapprendre la joie de donner son amitié aux autres, la joie de vivre en accord avec ses sentiments, la joie de se donner entièrement et gratuitement, la joie de la vraie communion. Et attendre avec patience et espérance le banquet final.

Toute fable contient une morale. Quelle est celle de Yotam ? Il faut agir avec prudence lorsque l’on choisit, oint ou élit celui qui sera censé nous protéger. En creux, on peut également y voir un appel à la reconnaissance pour ceux qui nous protègent réellement.

Le texte invite aussi à l’examen de conscience face à nos choix, perpétuellement à refaire pour déterminer si nous avons été « justes et innocents », comme le dit Yotam aux Sichémites. La fable est une condamnation du pouvoir qui se fonde sur la seule force brutale, perverse et sanguinaire (sous peine de chaos et de violences). Car être bien dirigés ou exercer la direction doit toujours viser un bonheur partagé, équitable.

Pour nous, disciples de Jésus, c’est en lui seul que nous reconnaissons le roi véritable, celui qui se soucie de chaque sujet, celui qui protège véritablement. Le roi-serviteur insignifiant, couronné d’épines, qui paie l’exercice de son pouvoir de sa propre vie. Et en cela il vise l’essentiel pour répondre à la vocation que Dieu nous adresse : vivre intensément cette vie en lui, dès à présent et pour l’éternité.

Terminons cette méditation par une autre histoire de pouvoir royal : « Deux tribus voisines décident un jour de livrer bataille. Avant d’engager le combat, les deux princes invoquent le même Dieu pour qu’il leur donne la victoire. Dieu leur répond : Que désirez-vous que je vous donne ? La force divine pour gagner la bataille, ou la grâce divine pour vivre en ma présence ? Le premier prince choisit la force, et le second la présence. La bataille est remportée par celui qui a choisi la force. Désormais son royaume s’étend sur les deux tribus.

Mais ce nouveau pouvoir est traversé par les luttes de clan, et les jalousies. Quelques décennies plus tard, il s’effondre sur lui-même.

Quant à la seconde tribu, elle a été soumise par son voisin, mais aujourd’hui encore, chaque matin, dans chaque maison de ce qui a été son territoire, on voit des hommes ouvrir les mains pour accueillir la présence de Dieu(*). »

Chers amis, la question finale pourrait se résumer ainsi : dominerons-nous les autres dans nos relations à l’image d’Abimélek, l’assassin devenu roitelet de Sichem, favoriserons-nous de telles dominations autour de nous, ou produirons-nous des fruits qui donnent sens, protègent et répandent la Vie ?


(*) Antoine Nouis, Un catéchisme protestant (Réveil Publications, 1997)

Article paru dans :

mai 2023

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