PAR : Thierry Huser
Président du Conseil de l'Association, pasteur, Église de La Bonne Nouvelle, Colmar

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Ma foi au jour le jour
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C’est un fait : les Églises évangéliques ont constitué un foyer de diffusion majeure du Covid-19 en France. L’Église « La Porte ouverte chrétienne » de Mulhouse a été un vecteur important de la propagation du virus, par les multiples réseaux de relations de chrétiens contaminés à leur insu. Il faut sans cesse le rappeler : nos frères et sœurs de la Porte ouverte sont d’abord victimes de ce virus, et le rassemblement s’est déroulé à un moment où d’autres grands événements publics, tel le Salon de l’Agriculture, brassaient des foules immenses, dans des espaces confinés et une grande promiscuité. Reprocher à la Porte Ouverte, après l’événement, une imprudence ou une irresponsabilité, est un procès injuste et inacceptable. Toute responsabilité éthique s’évalue avec les connaissances disponibles au moment du choix. Toute la France pensait, au moment du rassemblement de février, que le virus était circonscrit à des poches identifiées et contenues. Dont acte.

Il n’empêche : des chrétiens, rassemblés pour rendre un culte, et qui priaient ensemble pour être un moyen de bénédiction, ont été infectés par le virus et porteurs de la maladie. Le fait est là, massif, blessant. Il nous faut l’affronter, humainement, spirituellement, théologiquement.

Nous voilà vaccinés, d’un coup et sans appel, contre l’insoutenable légèreté qu’il y aurait à prétendre qu’en tant que chrétiens, nous serions immunisés contre toute maladie, et que, appelés à bénir, nous ne pourrions jamais transmettre autre chose que la bénédiction. Nous voilà repris si nous pensions que nous sommes protégés de tout mal, de tout malheur, de toute contagion, simplement parce que nous nous rassemblons au nom de Jésus. L’honnêteté devant la réalité nous impose ces prudences. Des prédicateurs irresponsables pourront toujours proclamer, ici ou ailleurs, en live ou sur les réseaux sociaux, qu’un rassemblement chrétien où l’on s’embrasse en temps d’épidémie est le « lieu le plus sûr du monde », grâce à la protection surnaturelle de Dieu, par la vertu d’une foi qui possède l’immunité parce qu’elle le déclare : nous ne le pouvons pas, nous ne le pouvons plus, et nous n’aurions jamais dû l’envisager si nous l’avons fait.

Mais comment bien penser cela, bibliquement et théologiquement ? La Bible ne nous invite-t-elle pas à avoir confiance en la protection du Dieu qui nous garde ? Ne sommes-nous pas encouragés à mettre en œuvre une foi ferme et vivante ?

Nous ne pouvons pas laisser de côté de tels appels. Mais nous devons veiller à les considérer en tenant compte de l’ensemble de l’enseignement biblique, dans ses lignes fondamentales comme dans ses équilibres. Quelques points peuvent être relevés.

 1. L’existence chrétienne dans le monde.

Comme l’a souligné et argumenté le texte sur la guérison publié par le Comité théologique du CNEF, l’existence chrétienne, qui nous fait déjà goûter les bienfaits du salut dont nous attendons encore la pleine réalisation, s’inscrit dans la réalité du monde créé par Dieu, et blessé par la chute. Notre existence reste marquée par la fragilité, la vulnérabilité et la mort. Tout cela ne sera restauré que lorsque le Seigneur Jésus fera toutes choses nouvelles. Ne pas respecter ces temps et ces étapes du dessein de Dieu, agir comme si nous possédions déjà des corps glorifiés ne relève pas de la foi, mais d’une impatience qui ne se soumet pas aux temps et aux moments de Dieu. La Bible nous invite à attendre avec patience ce que nous espérons (Jc 5.7), et cela implique d’assumer, en toute humilité et responsabilité, que nous appartenons encore au monde marqué par le péché et la fragilité, en portant certes le trésor de l’Évangile, mais dans des vases de terre (2Co 4.7).

2. La foi et les autres vertus chrétiennes.

Il est facile, et parfois tentant, d’isoler un aspect de l’enseignement biblique et de l’absolutiser. Une théologie unilatérale du péché sans insistance suffisante sur la grâce trahit l’enseignement biblique, de même qu’une éthique unilatérale de l’amour. Pareillement, une spiritualité qui valorise la foi a besoin d’intégrer l’ensemble des données bibliques pour rester juste et équilibrée. Tout en s’engageant, la foi doit respecter la souveraineté de Dieu et son droit à ne pas agir comme nous l’attendrions (Dn 3.16-18). Elle doit rester foi en Dieu et attente de Dieu (Jn 14.1), et non tentative d’obtenir ce que nous aurions décidé nous-mêmes. Si la foi est « l’assurance des choses que l’on espère » (Hb 11.1), ce que l’on espère doit venir de la Parole et des promesses de Dieu. Dans ces mêmes lignes, il faut rappeler, face à une vision de la foi qui serait tentée de ne respecter aucune contrainte, que la prudence et la sagesse font partie des valeurs qui caractérisent la « crainte de l’Éternel ». Tout un pan de l’enseignement biblique nous est donné pour nous apprendre à vivre dans le monde d’une manière sage : en toute intelligence et responsabilité, en respectant la loi de Dieu, en tenant compte de la réalité. S’il existe des situations où la foi doit tout attendre de Dieu, par-delà toute possibilité humaine (Gn 18.14), une foi qui s’affranchirait systématiquement de toute contrainte créaturelle ne serait qu’orgueil et présomption.

3. Gardés et protégés.

Bien des textes, précieux pour notre foi, nous assurent que nous sommes gardés et protégés par Dieu, notre refuge, notre forteresse (Ps 91, 121 ; 1Pi 1.5). Quoi qu’il arrive, nous restons dans sa main (Ps 31.16 ; Rm 8.35-39). Ces textes, cependant, doivent être lus et compris selon leur intention. Le psaume 91, en particulier, a des affirmations dont il nous faut trouver la juste signification : « Tu ne craindras ni la flèche qui vole de jour, ni la peste qui marche dans l’obscurité, ni la contagion qui frappe en plein midi. Que mille tombent à ton côté, et dix mille à ta droite, rien ne t’atteindra. » (Ps 91.6-7). Isolées de leur contexte et de leur genre littéraire, ces paroles peuvent sembler légitimer une attitude où l’on proclame, par la foi, une totale invincibilité du croyant. Mais ce psaume parle, tout au contraire, d’une humble dépendance du croyant qui se met « à l’abri du Très-Haut », qui « cherche son refuge » en Dieu, se « réfugie sous son aile » (91.1,2,4). Il s’agit d’humilité face à un danger, dans un contexte de détresse (91.14-15), avec des images fortes données pour dire toutes les situations au sein desquelles on peut expérimenter le refuge dans le Seigneur. Aucune bravade présomptueuse qui permettrait des actes inconscients ! Fait significatif : le Tentateur s’est servi de ce texte pour inviter Jésus à la bravade inconsciente de se jeter du Temple pour prouver la puissance de Dieu. Et Jésus a refusé net : ce serait « tenter Dieu », le provoquer contre sa volonté (Mt 4.5-7).

Nous avons à cultiver, encore et encore, cette confiance en la protection de Dieu, selon son bon vouloir, au cœur de l’épidémie qui nous entoure, et qui nous atteint aussi. En nous rappelant que Dieu protège de l’épreuve, mais aussi dans l’épreuve. Et que la protection certaine et inébranlable qu’il nous accorde est que nous lui appartenons en propre, et pour toujours (Ep 4.30). Aucune bravade, aucune présomption ! Mais une humble confiance, dans la dépendance et l’espérance. ■


CNEF : Conseil national des évangéliques de France

Article paru dans :

avril 2020

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