PAR : Jean-Marc Bellefleur
Membre du comité de rédaction, pasteur, Église de La Bonne Nouvelle, Mulhouse

Article paru dans :

Dans votre bible : 1 Corinthiens 3.5-9

Nous sommes en hiver mais tout bon jardinier sait que la nature n’est pas pour autant inactive pendant cette période. Dans le secret de la terre, le printemps se prépare. Par un soigneux travail de la nature (et du Créateur !) avec une vivacité qui nous étonnera toujours, les plantes poussent.

Les plantes poussent

Dans une serre de production, on travaille dur aussi. Les semis à peine levés, des personnes les repiquent délicatement dans des godets… puis ils sont rempotés dans des pots plus grands… on les arrose, les installe à la lumière, que l’on maîtrise grâce à des ombrages… Et j’en passe ! Au moyen de ces souvenirs personnels, bien incomplets, je fais ce constat : les plantes poussent ! Tout le travail de l’horticulteur ne vaut qu’à cette condition. Ce ne sont pas des grains de sable que l’on a semés, mais des graines de fleurs, ayant déjà reçu d’un autre une vie que le jardinier n’aurait pas pu créer.

 Ça barde à Corinthe

L’apôtre Paul reprend cette image, mais pour une autre culture que celle des fleurs. Dans sa première Épître aux Corinthiens, il mentionne « celui qui plante », « celui qui arrose », et « Dieu qui fait croître » (1Co 3.6,7). Pourtant, les circonstances sont bien loin de la douceur champêtre ou de la quiétude potagère. À Corinthe, les luttes d’influence font rage, les esprits partisans s’élèvent les uns contre les autres, tant et si bien que Paul, à la place des bénédictions d’usage, commence son épître par un vigoureux rappel (1.10) : « Qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous, soyez bien unis, dans la même pensée et dans le même dessein. »

Et Paul va jusqu’à faire de sévères reproches aux chrétiens de Corinthe ! Avec leurs divisions, ils ne valent pas mieux, tout chrétiens qu’ils sont, que leurs contemporains les plus ordinaires (3.3,4). Et ils y vont fort ! De vrais clans ut qu’à cette condition. sont apparus, « de Paul », « d’Apollos », « de Céphas » (1.12, 3.4). On imagine les ravages de l’émergence de telles coteries dans une communauté. Néanmoins, Paul, au lieu de s’inscrire dans ces tiraillements délétères – il y remporterait la lutte, lui, le grand apôtre – avance l’appartenance à un autre parti : celui, unique, de Christ, qui ne peut être divisé et auquel tous les chrétiens appartiennent. En effet, je crois que le parti de Christ, que Paul cite à la fin de sa liste de 1.12, n’est pas un parti corinthien de plus. C’est la manière de Paul de remettre l’Église au milieu du village. « Moi je suis de Christ. » C’est à partir de là qu’il peut redéfinir sa position et celle des autres dont les Corinthiens voudraient se réclamer.

 Du calme !

Alors, Corinthiens, vous êtes du « parti d’Apollos » ? Pourtant, Apollos n’est qu’un serviteur. Du « parti de Paul » ? De même, Paul n’est qu’un serviteur, par le moyen duquel « vous avez cru, selon que le Seigneur l’a donné à chacun. » (3.5). Un serviteur, rien qu’un serviteur ? Pas de quoi rallier un parti, alors.

Paul s’emploie ainsi à calmer les ardeurs. En prenant la position d’un serviteur parmi d’autres, il se distingue du modèle d’un chef politique avide de zélateurs et désamorce toute concurrence entre responsables d’Église.

Et c’est là qu’il se met à planter ou arroser ! En bon serviteur, le voici jardinier, au milieu d’autres jardiniers. Tout autant qu’un horticulteur part du principe que les plantes poussent, Paul compte sur le fait que c’est Dieu qui fait croître la semence de sa Parole. C’est là un principe qui unit les jardiniers, qui « ne sont qu’un » (v. 3.8), au lieu de les diviser. Cette unité est d’autant plus forte qu’elle se construit autour du Dieu de la vie, du Dieu tout puissant, qui est le seul souverain sur la croissance espérée.

Cela ne veut cependant pas dire que tous les serviteurs sont pris l’un pour l’autre. Il y a des différences. Toutefois, les plus efficaces, les plus fidèles, ne seront pas forcément ceux que l’on croit. « Chacun recevra sa propre récompense, selon son propre travail. » (v. 3.8). à bon entendeur, salut ! Ce ne sera pas Paul qui jouera les chefs de parti.

J’ai le sentiment confus que quelques personnes, dans une Église ou l’autre, feraient bien de s’inspirer de cette sage attitude paulinienne. Tant de disputes pourraient être évitées ! Tant de divisions stériles ! Vouloir avoir raison… désirer dominer sur l’autre… avoir l’ascendant sur lui… plus d’influence que lui… vouloir briller par sa spiritualité, sa sagesse… déguiser son orgueil en charismes généreux ou en services dévoués… vouloir laisser sa marque… Autant de mauvaises herbes dans le jardin qu’est l’Église !

Alors souvenons-nous que le meilleur horticulteur ne fera que remuer de la terre si ce qu’il sème n’est pas porteur de vie. Et que dans nos Églises, les plus dévoués des serviteurs, les plus engagées des servantes, ne feront que s’agiter si Dieu lui-même n’agit pas.

Nous travaillons avec… Dieu

C’est surprenant : dans ce texte (v. 3.9), Paul se présente non comme serviteur de Dieu, mais comme servant avec Dieu, étant ouvrier avec lui. Paul, Apollos, et d’autres, et nous, fondent leur action sur celle de Dieu, entourent de leurs modestes soins l’action vitale de Dieu. C’est Dieu le divin horticulteur.

Au fait, pourquoi Dieu tient-il à travailler avec Paul, et Apollos, et d’autres, et nous ? Ne sait-il pas planter ou arroser mieux que nous ? Si nous sommes si secondaires que cela, pourquoi Dieu nous veut-il tant à l’œuvre ? Dieu aurait-il des limites telles qu’il aurait recours à nous comme ses « petites mains » ?

À l'œuvre

Oh non ! Nous entendons régulièrement des témoignages de personnes chez lesquelles Dieu a « planté », « arrosé » et « fait croître » l’Évangile, sans autre aide que son Esprit : ici par un rêve, là par un événement survenu sans pasteur à l’œuvre, sans missionnaire en vue. Non, Dieu n’a pas besoin qu’on l’aide, comme un être maladroit qui ne pourrait pas agir seul. Il n’est pas comme un horticulteur sans savoir-faire qui devrait s’appuyer sur d’autres !

Pourquoi donc Dieu travaille-t-il avec nous ? Car c’est bien là sa volonté. Jésus nous envoie, nous, dans ce monde. Nous y sommes ambassadeurs pour lui. Nous y (im)plantons des Églises, nous y arrosons l’action de nos prières… Dans sa grâce, il lui plaît de nous faire prendre part à son œuvre… Immense privilège qui est le nôtre… Associés au maître-horticulteur !

Le jardin de Dieu

Reprenons justement l’image de l’horticulture. Un jardin n’est pas la nature. Autant je suis admiratif d’un lever de soleil sur les brumes d’un étang, d’une côte où la mer et le vent ont ciselé la roche, de la couronne majestueuse d’un arbre isolé, de la floraison printanière d’une prairie sauvage… autant j’aime m’attarder devant un bosquet artificiel de rhododendrons fleuris, au milieu d’une roseraie savamment ordonnée, ou sous un saule pleureur à la frondaison pendante bien taillée. Dans la nature, j’admire l’art du Créateur. Dans le jardin, j’admire ce que l’homme en fait.

Des jardins de Dieu

Il en est de même pour nos Églises. Ce sont des jardins de Dieu. Pas des lieux dont l’homme serait absent, comme il l’est de la nature. Dieu veut montrer, dans ses jardins, l’effet de sa grâce dans une vie humaine : comment un homme cultive l’Évangile pour sa vie, comment une femme fait fleurir la grâce de Dieu dans ce qu’elle entreprend, comment une communauté exhale un parfum de bonheur. C’est donc bien un jardin que Dieu veut. Autrement dit : c’est bien avec nous qu’il veut montrer sa grâce au monde.

Alors soyons les jardiniers de Dieu ! Repiquons des semis d’amour à droite, bouturons de la joie et de la paix à gauche, disposons des replants de patience et de bonté vers l’arrière, et vers l’avant semons des graines de bienveillance et de foi, sans oublier de planter des pieds de douceur et de maîtrise de soi (Gal 5.22).

Que les personnes qui visitent nos Églises y arrivent comme dans un jardin luxuriant et agréable ! Qu’elles admirent la grâce de Dieu dans nos vies, comme on regarde un parterre de dahlias ! Que nos louanges orientent leur regard sur le Grand Jardinier ! Tout comme un jardin, où les connaisseurs vont contempler un talus de plantes vivaces arrangé par les jardiniers, que nos Églises soient des lieux habités, où les choses sont soignées et accueillantes ! Que nos communautés soient des lieux où l’on s’asseoit avec plaisir, même si on vient de dehors. Tout comme un jardin, où la création et l’être humain sont en harmonie, que nos Églises soient des espaces où le Créateur et les hommes et femmes sont aussi réconciliés en Jésus-Christ !

 Tous jardiniers !

Voulons-nous que le jardin de Dieu soit beau ? Que le jardin de la grâce soit accueillant pour les visiteurs et pour nous-mêmes ? Alors il faut nous donner du mal. Dieu est à l’œuvre, oui, mais nous aussi, nous avons dit pourquoi. Un jardin à l’abandon, c’est d’un triste !

De son mieux

Chacun fait de son mieux pour que son secteur soit beau. Les allées ! Les haies ! Les arbres ! Les rocailles ! Les parterres ! Les pelouses ! Les plans d’eau (nous ne sommes pas baptistes pour rien) ! Les massifs ! C’est-à-dire le ménage ! Les locaux ! La jeunesse ! La louange ! L’administration ! L’accueil ! L’étude ! Ensemble, mais chacun selon ses dons, selon ses capacités, nous embellissons sans cesse le jardin de Dieu. Sans rivalité, nous l’avons dit. Sans vouloir dépasser l’autre. Taillons énergiquement nos mauvaises habitudes. Arrachons les mauvaises herbes de nos violences. Nourrissons nos enthousiasmes fragiles. Replantons des boutures de consécration. Tuteurons de discipline nos vies quotidiennes.

Nous avons tous notre place dans l’équipe. Pour travailler avec Dieu, personne n’est trop maladroit, petit, faible ou incapable, ni, d’ailleurs, trop adroit, grand, fort ou capable. Ma liste est fatalement incomplète ! Il faut lui ajouter une foultitude d’actions. Tenez ! La personne qui prépare les semis dans une petite serre au fond du jardin, cachée derrière une haie de thuyas, personne ne l’a vue passer des heures à faire du repiquage. Et celle qui a prié des heures pour des conversions, des baptêmes, ou un autre sujet, personne ne l’a vue non plus. Et pourtant ! Et pourtant !

Dieu nous appelle toutes et tous à « planter » ou à « arroser », étant entendu que c’est lui qui « fait croître ». Dieu nous appelle toutes et tous à être témoins de l’Évangile, et à faire en sorte que nos communautés soient belles comme des jardins de sa grâce.

C’est encore l’hiver, c’est vrai. Pourtant, le prochain printemps se prépare déjà. Et ma prière est que Dieu se saisisse de ces quelques lignes de méditation horticole pour préparer, dans le secret de nos cœurs, et faire germer dans nos communautés de nouveaux et extraordinaires printemps.

À nos jardins ! ■

Article paru dans :

janvier 2019

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
Point de vue

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Nordine Salmi
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