PAR : Yves Gabel
Membre du conseil de l’Association baptiste, La Chapelle protestante baptiste, Jemeppe-sur- Meuse.

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L’année 2021 marquera le centenaire de notre Association baptiste, chère à chacun. Cent ans déjà ! Quels souvenirs évoquerons-nous au courant de cette année ?

Nous pourrions nous contenter, sans doute, de verser ensemble une « larmette » nostalgique à propos de notre passé, de nos illustres personnages et de l’œuvre accomplie. Nous pourrions nous laisser aller à une autocongratulation, certainement peu fructueuse. Ou encore nous satisfaire d’une bonne page d’histoire bien documentée…

Il y a sans doute du bon et du vrai dans ces différentes orientations mais je voudrais vous proposer un tout autre défi. Essayons, tout d’abord, de bien saisir la nécessité de faire mémoire. Ensuite, d’en comprendre le « pourquoi », l’issue, l’ouverture.

La nécessité de faire mémoire

« Les pierres crieront… » (Lc 19.40). Qui oserait prétendre avoir déjà entendu des pierres parler ? Peut-être un soir de fête particulièrement arrosé… Alors, « crier », est-ce bien raisonnable ? Un petit détour au fil des pages de la Bible a bien de quoi nous y faire réfléchir, sauf bien sûr pour qui ne veut pas comprendre les tournures métaphoriques. Les Écritures fourmillent de références à des pierres qui parlent :

stèles

  • Des stèles érigées par les patriarches en lien avec une bénédiction(1) ou des stèles « témoins », souvent pour que le peuple d’Israël n’abandonne pas Dieu(2).
  • La pierre comme borne territoriale, borne indicative(3) ou lieu-dit(4).
  • La Loi de Dieu gravée sur la pierre(5).
  • Les pierres brutes des autels ou les pierres de fondation du Temple(6).
  • Les pierres de la lapidation qui condamnent le pécheurv(7).
  • Les citernes fissurées et les murailles qui crient vengeance(8).
  • Les humains et leurs cœurs de pierre(9) ; les pierres qui peuvent devenir enfants d’Abraham(10).
  • Jésus (ou Dieu), la pierre d’angle, pierre d’appui ou de scandale(11). Dans le même registre : Jérusalem, pierre pesante pour les nations(12).
  • L’apôtre, « pierre de fondation » de l’Église(13) et les croyants comme « pierres vivantes »(14).
  • Et enfin, la pierre roulée de devant le tombeau de Jésus, clamant la victoire de Christ sur la mort et sa résurrection ; une Bonne Nouvelle qui retentit aujourd'hui encore.

Prétendre que les pierres ne parlent pas, c'est donc mal comprendre le symbolisme biblique. Les « pierres » des Écritures nous renvoient au « devoir » de mémoire. Il faut se rappeler, ne jamais oublier. La Bible fait d’ailleurs la part belle aux origines et à l’Histoire. Une douzaine de livres y sont consacrés. Et que dire également des nombreuses généalogies. L’Écriture semble nous dire : il faut se souvenir du passé, des grands jours (bénédictions, victoires) mais aussi des moins glorieux (les horreurs du péché), et des illustres figures de ceux qui nous ont précédés (bonnes ou mauvaises). Pour Israël, se souvenir est un agir sans cesse « rejoué » et renouvelé au moyen des grandes Fêtes liturgiques, dont la Pâque. Tout le judaïsme repose sur cette nécessité : ne jamais oublier ses racines, son histoire, son identité (cf. Dt 5-6). La Bible est un livre de mémoire. Pensons aussi aux fameux textes concernant le « mémorial » de la Cène !

Être croyant, c’est donc se souvenir ! Se souvenir du pécheur que nous étions et de sa marche vers la gloire. L’absence de souvenirs provoquerait le chaos social, une sorte de retour au tohu-bohu des origines. Nous serions sans racines, perdus, dans une angoisse épouvantable. L’ignorance ne peut déboucher sur un avenir. Elle ne peut pas non plus déboucher sur la foi.

Illustrons cela avec les pathologies qui affectent la mémoire chez l’être humain : selon leur évolution ou leur gravité ceux qui en sont atteints perdent la possibilité de vivre normalement. Peu ou pas de souvenirs, impossibilité de suivre une conversation ou de se faire comprendre, difficulté à s’exprimer, à se reconnaître ou reconnaître les autres, perte d’identité, etc. Imaginez donc un monde sans souvenirs… Une vie sans souvenirs ! Ce serait une vie sans Histoire, sans interprétation possible du vécu, sans devenir, tout simplement.

L’homme se doit de se souvenir de son propre passé, avec aussi ses manquements, sous peine de retomber dans l’horreur de certaines souffrances radicales telles que l’esclavage. Il nous faut nommer le mal en nous, en l’autre et dans le monde. Il faut arrêter de masquer le péché. Il faut désigner l’innommable pour qu’il cesse. Il ne peut y avoir d’avenir sans cela, tout comme il ne peut y avoir de « guérison » de l’âme ou de salut pour l’homme, pas de (vrai) pardon ou de grâce, s’il n’y a pas reconnaissance, de mémoire des fautes.

homme regardant dans des
jumelles

Ainsi donc, le fait de nous souvenir de nos racines et de nos trajectoires protège notre avenir social et spirituel et nous évite de reproduire sans fin les mêmes erreurs, les nôtres ou celles de nos ancêtres. Pour toutes nos communautés, cela signifie la nécessité de connaître l’histoire de l’Église, de notre famille (le baptisme) et de notre groupement (l’AEEBLF).

Nous souvenir pour le futur

Une autre parole biblique m’interpelle : « Souviens-toi du jour du shabbat pour le sanctifier. » (Ex 20.8). Derrière cette injonction divine, se cache une réalité inattendue, lumineuse.

Observer ce commandement permettrait aux hommes de se libérer du devoir faire et du carcan de l’agir. La cessation d’activité invite à sortir de nos habitudes, des voies toutes tracées. Il y a alors place pour l’innovation, la créativité, le plaisir. C’est un temps où l’homme s’organise à ne rien faire. En réalité l’homme se libère totalement du « faire » pour avoir le temps d’Être ! Être avec Dieu, pour Dieu. Être avec l’autre, pour l’autre. Être aussi avec soi, pour soi. Être là pour l’Univers, pour contempler la Création. Être vraiment présent à la relation, à la tendresse. Enfin libéré de l’occupation et de sa préoccupation. Un morceau d’éternité ainsi inséré dans le présent…

jeune femme lisant un livre

Le centenaire est un « temps offert » à nos Églises, une parenthèse utile. Un temps pour nous souvenir, honorer le passé. Il ne faudrait pas que nous passions à côté. C’est aussi, dans le présent, un temps pour mieux nous connaître et nous re-connaître car nous ne pouvons valablement respecter que ce que nous connaissons ou comprenons. Un temps pour nous attacher les uns aux autres, tisser des liens plus solides, ce qui sera bien utile pour notre devenir commun et ceux qui nous rejoindront. Un temps pour que chacun, sympathisant ou membre de nos Églises, soit une pierre vivante (1P 2.4-5) qui édifie la Grande Église de Jésus le Christ.

À propos du shabbat, nous pourrions dire : « Souviens-toi de ton futur ! » Quel anachronisme, me direz-vous ! Pas du tout. Le shabbat, comme d’ailleurs la cène, nous plonge effectivement dans l’invisible du temps futur. Pourtant, comment se souvenir de l’invisible ? C’est se souvenir du Dieu Eternel que nul n’a vu, du Verbe incarné qui est au ciel, des martyrs qui nous ont précédés et qui nous ont permis de devenir à notre tour disciples du Christ. Par-dessus tout, c’est vivre pour demain, pour un Royaume qui vient. C’est vivre pour l’autre, pour les prochaines générations de chrétiens, pour notre descendance biologique et spirituelle.

Cette parole du décalogue nous ouvre à cet « impératif catégorique » : « Agis de telle sorte qu’il puisse encore exister une humanité (croyante) après toi et aussi longtemps que possible. » De telle façon que nous développions notre capacité à engendrer du nouveau mais aussi, à laisser du travail pour la suite afin que les prochaines générations aient leur mot à dire et leur responsabilité dans l’évangélisation des peuples. Le shabbat, c’est donc aussi comme un vide : une place (future) laissée à l’autre.

Épilogue

Un centenaire, un temps pour nous souvenir humblement ensemble de notre passé commun. Un temps pour regarder à l’horizon et entretenir l’espérance du Royaume qui vient.

Un défi délicat, à vrai dire, dans une société moderne multiculturelle qui se ferme aux religions et au judéo-christianisme si souvent décrié mais, également, dans un contexte de crise(s) planétaire(s) sans précédent. Tout cela est vrai. Cependant, à quoi bon s'en inquiéter ?

En effet, frères et sœurs, pour que la Bonne Nouvelle se propage, il faut ce rejet, cette résistance. Celle-ci pourrait traduire quelque chose d’une « faim » ou d’une « soif » des incrédules (cf. Am 8.11 ; Jn 7.37), mais elle démontre aussi l'impact de votre foi. C'est cette foi, et elle seule, qui devrait nous encourager, nous consoler, nous donner du punch pour demeurer des « pierres vivantes » à l'image du Christ, « pierre d'angle » de l'édifice.

Puisse notre centenaire nous renforcer dans nos ancrages et nos convictions. Puisse-t-il nous entraîner vers un demain que nous savons radieux. Puisse-t-il nous faire découvrir la place unique à laquelle le Christ Jésus nous convie dans son édifice, le Corps du Christ. Et qu'ensemble nous proclamions à toujours CHRIST le Roi !


(1) Gn 28.11,18,22 ; 31.45
(2) Jos 4.3-9,20 ; 24.26-27 ; 1S 7.12 ; 1R 18.31
(3) Jos 15.6 ; 18.17 ; 1S 20.19 ; 2S 20.8
(4) 1R 1.9
(5) Ex 24.12 ; 31.18 ; Dt 27.2,4,8
(6) Ex 20.25 avec Dt 27.5-6 et Jos 8.30-31 ; 1R 5.31
(7) Ex 21.28 ; Lv 20.2,27 ; 24.16 ; Nb 15.35 ; Dt 13.10-11 ; 17.5 ; 21.21 ; 22.21 ; Jos 7.25-26 avec 8.29 ; 2S 18.17
(8) Jr 2.13 ; Ha 2.11
(9) Ez 11.19 ; 36.26
(10) Mt 3.9
(11) Ps 118.22 ; Es 8.14 ; 28.16 ; Mt 21.42 ; Ac 4.11 ; Rm 9.32-33
(12) Za 12.3
(13) Mt 16.18 ; Ep 2.19-22
(14) 1P 2.4-7

Article paru dans :

janvier 2021

Rubrique :
Association baptiste
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