PAR : Matthieu Sanders
Pasteur, Église évangélique baptiste de Paris-Centre

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Mon grand-père aimait discuter avec moi de la foi. Il montrait de l’intérêt pour le christianisme, mais se disait plutôt agnostique. Je me rappelle une chose sur laquelle il revenait souvent, lui qui avait connu la guerre : le slogan que certains soldats de l’Allemagne nazie portaient sur eux : « Gott mit uns », Dieu avec nous. Mon grand-père s’offusquait : Comment peut-on dire « Dieu avec nous » et œuvrer pour un pareil régime ?

grand-père et son petit-fils

Quantité de régimes politiques en tout genre ont revendiqué « Dieu avec eux ». Dieu serait-il là pour se mettre au service des causes humaines ? Quand la Bible parle de « Dieu avec nous », elle vise quelque chose de radicalement différent, et je vous propose de le (re)découvrir avec le récit que Matthieu nous fait de l’annonce de la naissance de Jésus à Joseph (Mt 1.18-25).

Dieu venu nous rencontrer

Une des choses sur lesquelles l’apôtre Matthieu insiste dans son récit de la naissance de Jésus, c’est le fait que cette naissance est l’accomplissement de ce qui était annoncé dans l’Ancien Testament. Oui, la naissance de Jésus, par certains aspects, était attendue.

Le texte souligne cela déjà en glissant ce petit mot à côté du nom de Jésus : « Christ » (v. 18). Ce mot, Christ, fait référence à un messie, un Roi annoncé. La naissance que Matthieu raconte est la naissance de Jésus le Roi. Or précisément, Israël attendait depuis des siècles un Roi-Sauveur, un Libérateur. Le texte que Matthieu a à l’esprit dans ce passage est un texte très ancien du prophète Ésaïe, du VIIIe siècle avant notre ère : « La jeune fille sera enceinte et elle enfantera un fils, elle lui donnera pour nom  : Emmanuel (Dieu avec nous). » (Es 7.14).

jeune fille enceinte

Ce texte d’Ésaïe 7 n’est pas des plus simples. À première vue, il nous replonge dans un contexte précis, celui du Royaume de Juda, partie sud d’Israël, menacé par une coalition étrangère. Le prophète Ésaïe va rencontrer le roi de Juda, Achaz, et le rassure : cette coalition ne l’emportera pas. L’échange pourrait s’arrêter là. Mais Ésaïe ajoute alors qu’un jour, après tous les événements qui agitent le pays, Dieu donnera un signe au pays d’Israël : la jeune fille sera enceinte, elle enfantera un fils, elle lui donnera pour nom Emmanuel, Dieu avec nous.

Vu le contexte immédiat, il était tentant d’interpréter cette promesse mystérieuse comme renvoyant à une délivrance politique et militaire. Or, à l’époque de Joseph et Marie, sous l’occupation romaine, l’idée d’une délivrance Pasteur, Église évangélique baptiste de Paris-Centre politique et militaire paraissait pertinente. On attendait un Libérateur. Mais ce que l’on attend n’arrive pas toujours sous la forme que l’on pensait.

En mars 2020, je ne sais pas comment vous vous imaginiez la sortie de la crise sanitaire. Pour ma part, je me disais qu’en mai ce serait sans doute bon. Et j’imaginais les retrouvailles de l’Église après ce temps de séparation : la salle serait pleine ! On organiserait un grand repas fraternel ! Comme vous l’imaginez, le retour s’est passé autrement.

Dieu nous surprend régulièrement. La première partie du chapitre premier de Matthieu nous présente une prestigieuse généalogie qui part d’Abraham, père des croyants. On passe en revue les grandes époques des patriarches, des juges, de la royauté, de l’exil, du retour d’exil… trois fois quatorze générations… Et là, au verset 18, on se concentre tout à coup sur l’histoire d’un jeune couple « lambda », Joseph et Marie.

Marie est enceinte. Le problème, c’est que Joseph et elle n’ont pas encore commencé leur vie commune. Ils sont fiancés, ce qui à l’époque constituait déjà un engagement légal et officiel, mais ils ne sont pas encore mariés, n’ont pas encore eu de relations intimes. Joseph sait qu’il n’est pas le père et il en tire la conclusion qu’aurait tiré n’importe quel homme à sa place. Mais si nous parlons encore de cette histoire aujourd’hui, c’est que nous avons ici l’unique fois, dans l’Histoire humaine, où cette conclusion était erronée.

Non, Marie ne l’a pas trompé : « Elle se trouva enceinte par l’action du Saint-Esprit. » (v. 18). Et dans un rêve, Dieu adresse ce message à Joseph par un ange, un envoyé céleste : « Joseph, descendant de David, n’aie pas peur de prendre Marie pour femme, car l'enfant qu’elle porte vient du Saint-Esprit. » (v. 20).

couple avec échographie

L’histoire de Joseph et Marie est unique et incomparable. Le jour est venu. Dieu a décidé d’accomplir la promesse faite depuis tant de siècles. La jeune fille, la vierge, est enceinte, et donnera naissance à celui qui sera Emmanuel, Dieu avec nous.

Cet événement qui nous est rapporté dans les Évangiles de Matthieu et Luc suscite souvent la moquerie ou l’incompréhension. Que répondre ?

Face à la moquerie ou l’ironie, la question clé est de savoir si on est prêt à croire à un Créateur qui est à l’origine des lois de la nature et n’est donc pas soumis à elles, qui peut souverainement les contourner. Croire en Dieu, c’est croire en la possibilité du miracle. On peut refuser de croire en Dieu, et préférer croire que « rien » serait à l’origine de toutes choses, mais cela ne demande pas moins de foi. On peut donc contester cette position de principe qui dit : « Je ne crois pas aux miracles, parce que les miracles sont impossibles. » Quand on dit cela, on n’a rien prouvé, on a juste dit deux fois la même chose : qu’on ne croit pas aux miracles.

Quant au sens de ce miracle, étonnamment, croyants et non-croyants en font souvent la même interprétation erronée : si Jésus est né d’une jeune femme vierge, ce serait parce que la Bible dénigre la sexualité, et qu’il serait trop honteux que le Fils de Dieu soit né de l’union physique entre un homme et une femme. Le problème, c’est que la Bible ne dénigre pas la sexualité. La Genèse voit en elle une réalité fondatrice, liée à la vocation humaine. Le Cantique des cantiques la célèbre. L’apôtre Paul la présente comme une composante essentielle du mariage. Après tout, Dieu a créé la sexualité humaine ! D’ailleurs, au risque d’effleurer un point sensible pour certains chrétiens, le v. 25, dans sa formulation, laisse plutôt entendre que Joseph et Marie, après la naissance de Jésus, ont vécu une vie conjugale normale.

Nous faisons fausse route en voyant dans ce miracle un dénigrement de la sexualité. Nous avons évoqué la longue généalogie du début du chapitre. Celle-ci est marquée par de petits et grands drames, des déceptions, des fautes, des crimes… Et c’est dans cette réalité humaine chaotique que Dieu est venu nous rencontrer.

C’est là qu’intervient la conception virginale. En Jésus, Dieu est venu s’inscrire dans l’histoire de l’humanité. Mais il est aussi venu apporter une rupture dans cette histoire, et poser le fondement d’une nouvelle. Ainsi, l’existence de Jésus n’est pas le fruit d’une initiative humaine, elle est un acte de création, une irruption de Dieu dans le monde. Et cette ancienne promesse transmise par le prophète Ésaïe, cet enfant qui naîtrait et qui serait « Dieu avec nous », s’est accomplie d’une manière plus radicale que quiconque aurait pu l’imaginer.

Au moment d’accomplir son œuvre centrale, Dieu nous a pris totalement par surprise. Il a tenu ses promesses, mais pas comme cela était attendu. Sa façon d’être et d’agir n’est pas la nôtre. Cela doit nous faire réfléchir, lorsque nous ne comprenons pas l’œuvre de Dieu, y compris à plus petite échelle, dans nos vies. L’Éternel n’est pas soumis à nos contraintes. Il a une vision panoramique de toutes choses qui nous échappe complètement.

Par cette rencontre en chair et en os avec nous, qu’on appelle l’Incarnation, puis par la trajectoire de Jésus jusqu’à la mort sur la croix, puis par la résurrection, Dieu n’a cessé de prendre nos attentes à contre-pied… Et de les dépasser infiniment. Sa sagesse a toujours le dernier mot sur nos incompréhensions.

Dieu venu nous sauver

J’ai dit tout à l’heure qu’Israël attendait depuis des siècles un Messie, un Roi Libérateur. À plusieurs reprises, l’Ancien Testament annonce la venue future d’un Roi qui viendrait sauver son peuple. Plusieurs textes indiquent clairement que ce roi serait un homme issu de la lignée de David, le grand roi du Xe siècle avant notre ère, le roi-référence d’Israël, en quelque sorte.

Mais d’autres textes semblent voir en lui des attributs divins. Par exemple, le prophète Ésaïe au chapitre 9 décrit ainsi la venue de ce roi : « En effet, un enfant nous est né, un fils nous a été donné, et la souveraineté reposera sur son épaule ; on l'appellera merveilleux conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix. » (Es 9.5).

Voici une façon extravagante de parler d’un simple homme, aussi remarquable soit-il. L’Ancien Testament ne résout pas vraiment cette tension apparente entre humanité et divinité de ce futur Roi. Mais quand on considère de plus près le livre d’Ésaïe, on s’aperçoit que l’enfant promis viendra répondre à une problématique bien plus profonde et universelle que les crises diplomatiques et militaires de son temps.

ténèbres et lumière

Ésaïe nous parle avant tout d’une problématique spirituelle. Un peuple égaré, qui « marche dans les ténèbres », parce qu’il s’est détourné du Dieu vivant plutôt que de lui faire confiance. Les Israélites se sont tournés vers des idoles d’une part, et vers de fausses espérances politiques d’autre part (cf. par exemple Es 1.4-5). La suite du livre d’Ésaïe montrera clairement que cette profonde maladie spirituelle n’est pas seulement vraie d’Israël. Elle est vraie du monde entier. Les gens au temps d’Ésaïe avaient besoin d’être sauvés de bien plus que des Assyriens ou des Babyloniens. Les gens au temps de Joseph et Marie avaient besoin d’être sauvés de bien plus que de leurs dirigeants corrompus ou des Romains. Les gens de notre temps ont besoin d’être sauvés de bien plus que… je vous laisse compléter.

Sans minimiser la gravité des événements historiques qui peuvent survenir, l’humanité a un problème bien plus fondamental. Revenons justement à notre texte. Que dit l’ange à Joseph ? : « Elle mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jésus car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (v. 21).

Comme on l’a déjà relevé plus tôt, cette annonce concerne le Christ, le Roi Libérateur. C’est cette promesse d’un Roi que Dieu accomplit par cette naissance. Et quand on apprend que Jésus est celui qui sauvera son peuple, on est toujours dans un registre royal : Jésus est venu pour être le Roi-Sauveur, le Libérateur de son peuple. Mais la fin de la phrase est cruciale. De quoi Jésus est-il venu sauver son peuple ? De ses péchés !

En lisant ces mots, il faut avoir à l’esprit tout ce qu’on lit dans l’Ancien Testament sur le problème du péché qui condamne le peuple de Dieu. Dieu fait grâce, régulièrement, mais les hommes ne cessent de reprendre leur révolte contre lui. Pourquoi ? Parce qu’ils ont, parce que nous avons, ce problème spirituel fondamental, ce rejet de notre Créateur qui nous colle à la peau : le péché.

Faut-il le redire, le péché, ce ne sont pas seulement des actes identifiables et visibles. Ce n’est pas seulement mentir, tromper, voler, etc. Ces choses en font évidemment partie, mais le péché prend parfois, à nos yeux, des formes plus respectables. C’est cette disposition de cœur qui nous pousse à vivre sans Dieu, en remplaçant son autorité par la nôtre. C’est le problème humain depuis la nuit des temps.

Dans l’Ancien Testament, Dieu vient régulièrement délivrer le peuple qu’il s’est choisi, le peuple d’Israël. Mais ces délivrances terrestres, aussi importantes soient-elles sur le moment, ne changent pas le besoin d’une délivrance bien plus profonde. Et c’est avec la naissance de Jésus que Dieu vient apporter cette délivrance fondamentale : « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Et là, on découvre une autre dimension de l’expression « Dieu avec nous ».

Le problème fondamental de l’homme, selon la Bible, c’est qu’à cause de son péché, il ne peut plus vivre en communion avec Dieu. La perfection de Dieu n’est pas compatible avec nos vies tortueuses. Mais si Dieu vient nous sauver de nos péchés, alors il vient répondre à notre besoin le plus criant. Il vient restaurer notre relation avec Dieu. Il nous ramène à lui.

Dieu… avec nous. Et nous avec lui. Je faisais plus tôt allusion à cette tendance que nous avons à instrumentaliser l’idée de « Dieu avec nous ». Nous aimerions que Dieu soit « avec » nos projets, nos initiatives, notre vision des choses. Mais nous voyons dans cette annonce de la venue de Jésus combien Dieu prend nos projets, nos initiatives, notre vision à contre-pied. Il les renverse entièrement et nous appelle à nous aligner sur ses projets, sa vision.

jeunes avec portables

Et cela doit nous amener à réfléchir à notre façon de voir la vie. Dans le monde occidental, nous sommes poussés depuis notre enfance à voir la vie en termes d’objectifs à remplir. Et en soi, c’est une bonne chose d’avoir des objectifs. Mais il est frappant de voir que l’œuvre centrale de Dieu pour nous, ce n’est pas de nous aider à accomplir nos objectifs. Son œuvre centrale pour nous c’est la réconciliation, la restauration d’une relation brisée avec lui, la restauration de relations brisées les uns avec les autres.

Dans le livre d’Ésaïe, celui qui est appelé « Emmanuel » est également appelé « Prince de la paix ». Le but de Dieu pour nos vies, c’est la paix avec lui et la paix les uns avec les autres. Et il nous lance cet appel : saisir cette paix en donnant notre vie à Jésus, et en la recentrant régulièrement sur lui. Et tout ce que nous sommes appelés à vivre, en famille, dans nos études, au travail, nous sommes appelés à le vivre dans la paix et pour la paix, avec cette profonde assurance qu’en Jésus notre identité n’est plus en jeu. Notre valeur n’est plus en jeu. Notre avenir n’est plus en jeu. Nous sommes libérés de toutes ces craintes.

Le Seigneur nous dit comme à Joseph, et comme il le dira aussi à Marie : « N’aie pas peur. » Parce que Jésus est venu nous rencontrer dans notre humanité, parce qu’il est venu nous sauver de nos péchés. Parce que Dieu est avec nous.

Article paru dans :

décembre 2021

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
Point de vue

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