PAR : Nicolas Robin
Membre du conseil de l’Association, pasteur, Église protestante baptiste de Faremoutiers

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À Bible ouverte
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À quand remonte votre dernière lecture du livre des Juges ? Ce n’est peut-être pas le livre que nous privilégions spontanément à cette période de l’année. Dans le froid et l’obscurité de cette saison, nous cherchons peut-être des passages de l’Écriture plus réconfortants que certaines sordides histoires que nous présentent les Juges. Et puis, quel rapport avec Noël ?

C’est pourtant ce texte que j’avais proposé à la lecture commune de l’Église de Faremoutiers il y a deux ans, à l’approche de l’Avent, pour le mois de novembre. Je crois qu’y faire une petite plongée pourrait aussi nous aider à nous préparer à ce que nous célébrerons en cette fin d’année.

Un peu de contexte…

La période des Juges s’étend de Josué à Samuel, de l’entrée en terre promise à l’instauration de la royauté. Le livre rapporte donc comment se passent les premières décennies de présence israélite au pays de Canaan.

beau paysage

Le lecteur attentif de la Bible pourrait s’attendre à découvrir une période fantastique ! Le paradis sur terre. Le peuple libéré de l’esclavage en Égypte arrive dans un magnifique pays, où coulent le lait et le miel. Bien plus encore, il est en possession d’un trésor inestimable : la Loi de Dieu. Elle doit lui permettre de vivre la vie paisible et abondante voulue par Dieu.

Mais dans le livre des Juges, rien de tout cela. Au contraire, nous découvrons une spirale infernale, une succession d’histoires plus sordides les unes que les autres. On a l’impression que le peuple d’Israël n’apprend rien, qu’il s’enfonce de plus en plus dans son endurcissement et que suivre la Loi de Dieu lui est tout simplement impossible.

C’est d’ailleurs l’une des choses qui se dégage de ce livre : le peuple d’Israël ne vaut pas mieux que les peuples qui l’ont précédé en Canaan. En recevant la Loi de Dieu, les Israélites avaient tout pour être un peuple modèle. Mais ils échouent lamentablement d’épisode en épisode.

Le tableau est donc très sombre et rappelle en bien des points l’histoire de notre humanité. Pourtant, le livre des Juges n’est pas sans espoir. S’il n’offre pas une profusion de magnifiques versets d’encouragement, il apporte l’espoir d’une autre manière. L’espoir n’est pas en soi dans le contenu du livre, mais dans la manière dont l’auteur du texte voit plus loin, plus haut que ces récits dramatiques. Un autre l’inspire : l’auteur divin à l’œuvre pour que l’humanité apprenne enfin à vivre avec son Dieu.

« En ce temps-là, il n’y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. » (Jg 21.25). C’est cette parole qui conclut notre livre et en constitue comme un refrain dans ses derniers chapitres (17.6 ; 18.1 ; 19.1 en partie), que j’aimerais proposer comme fil conducteur de notre méditation. Elle pourrait paraître bien pessimiste, mais j’y trouve néanmoins de l’espoir.

« Chacun faisait ce qui lui semblait bon »

J’aimerais tout d’abord m’intéresser à la seconde partie de ce verset. « Chacun faisait ce qui lui semblait bon. » La formule résume beaucoup de choses.

statuette

Elle pourrait désigner celui qui se laisserait aller à une attitude un peu désinvolte : « Oh, je ne savais pas trop que faire dans cette situation, alors j’ai agi comme je le sentais. J’ai fait ce qui me semblait bon. » Mais elle pointe aussi vers celui qui aurait une attitude centrée sur ses propres désirs, ou ses propres appétits. « J’ai fait ce qui me semblait bon pour moi à ce moment-là, sans trop me préoccuper des conséquences ni pour moi-même, ni pour les autres. »

Chacun fait simplement ce qui lui semble bon. Cette attitude résume assez bien ce qui se passe dans le livre des Juges, et notamment dans ses derniers chapitres. C’est au chapitre 17 que la formule apparaît pour la première fois. Et c’est alors un lévite, Jonathan, petit-fils de Moïse, qui entre en scène.

L’auteur ne nous dit pas vraiment pourquoi, mais il semble que ce lévite soit insatisfait de son sort, en recherche d’autre chose. Et c’est ainsi qu’il accepte bien volontiers, de devenir prêtre à domicile, en charge d’une idole chez un certain Mika. Imaginez : le petit-fils de Moïse, un lévite qui aurait dû officier dans le tabernacle pour le culte de l’Éternel, le Dieu véritable, se retrouve au service d’une idole chez un particulier… Ce culte à domicile rapportait-il plus ?

Le problème de l’insatisfaction, c’est qu’elle n’est jamais satisfaite ! Aussi, quelques temps plus tard, le prêtre saute sur une occasion de promotion. Il suit les hommes de Dan, une des douze tribus d’Israël, elle aussi insatisfaite de sa situation. Il en devient le prêtre officiel, totalement à l’encontre de la Loi de Dieu. C’est ainsi que Dan sera la première tribu d’Israël à se détourner officiellement du culte de l’Éternel, en lui préférant ses propres idoles, avec de funestes conséquences sur plusieurs générations !

Un choix anodin, isolé, mais qui nous lance dans de terribles engrenages ! « Faire ce qui me semble bon » nous amène généralement à privilégier nos intérêts, nos ressentis, nos désirs, sans prendre en compte l’impact que cela aura sur nous et sur les autres à plus long terme, et ce parfois même quand nous pensons faire ce qui nous paraît bon !

Au chapitre 19, c’est un autre lévite qui entre en scène. Lui est plutôt du genre désinvolte ! Il semble surtout occupé à prendre du bon temps ! Voilà quelqu’un qui pourrait paraître cool de prime abord. Mais la « zen-attitude » n’est jamais bien loin du déni. Et quand on sort de sa léthargie, gare aux conséquences. C’est exactement ce qui se passe dans cette histoire, où un drame familial débouche sur une guerre civile, parce que notre lévite est passé de l’insouciance pour tout, y compris à l’égard de sa compagne, à un esprit de vengeance dévastateur. Voilà un autre exemple d’action « comme bon nous semble ».

Nous avons besoin de reconnaître qu’en tant qu’êtres limités et pécheurs, nous sommes bien incapables de savoir ce qui est réellement bon pour nous ! Le livre des Juges devrait nous servir d’avertissement à cet égard : voici ce qui se passe quand chacun se contente de regarder à ses propres idées…

Il n’y avait pas de roi en Israël

Pour l’auteur du livre, ce « chacun faisait ce qui lui semblait bon » est associé à une autre observation : « Il n’y avait pas de roi en Israël. »

C’est un des traits les plus saisissants de ce livre. Les juges sont des chefs régionaux, appelés par Dieu pour opérer une libération locale face à un oppresseur étranger. Et si les Gédéon, Jephté, Samson et autres vont généralement remplir leur mission, ces héros vont aussi se montrer bien défaillants sur un plan personnel.

épée

Gédéon, le timoré (Jg 6-9), repoussera bien les Madianites, mais il sera aussi l’instigateur d’un culte idolâtre qui aura des conséquences profondes en Israël. Jephté, le chef de bande (Jg 11), viendra à bout des Amoréens, mais il finira par sacrifier sa propre fille sur l’autel de sa victoire. Quant à Samson (Jg 13-16), il se montre volage, violent et arrogant. Il commence à opérer une délivrance de l’oppression des Philistins, mais ne montre de respect ni pour Dieu, ni pour lui-même.

La conclusion de l’auteur du livre des Juges est, semble-t-il, que cela ne peut plus durer ! Il faut changer de système. À cause de la faiblesse des dirigeants, de la menace persistante des Cananéens, de l’incapacité d’Israël à rester fidèle à la Loi de l’Éternel, de la précarité de la situation, il semble urgent de mettre en place un régime suffisamment stable pour réaliser l’unité du peuple.

D’ailleurs la dernière histoire rapportée dans le livre montre clairement le danger : si chaque tribu continue de faire ce qui lui semble bon, c’est tout Israël qui va disparaître.

L’auteur du livre des Juges croit-il que la monarchie soit la réponse à tous les maux d’Israël ? Je ne pense pas. Il n’a certainement pas manqué de repérer, aux temps de Gédéon et du fils que celui-ci a nommé Abimélek (« mon père est roi »), les dégâts que pourrait causer un souverain avide des privilèges du pouvoir !

Ce qui éclaire le propos, c’est de considérer le contexte dans lequel ce livre aurait semble-t-il été écrit. L’une des hypothèses principales est qu’il remonte à l’époque du roi David. À la mort de Saül, le leadership de David est vacillant. Pendant plusieurs années, la plupart des tribus ne le reconnaissent pas comme leur roi. Notre refrain à la fin du livre pourrait avoir valeur d’avertissement ! Aux siècles précédents, voyez à quel point les divisions entre tribus ont failli leur coûter la vie. Il est temps d’avoir un pouvoir unifié !

Mais la monarchie ne sera pas suffisante pour sauver Israël. Quatre-cents ans après son instauration, le peuple se retrouvera finalement dans une instabilité comparable à celle de la fin des Juges. Il sera même cette fois-ci envahi puis déporté par les Assyriens et les Babyloniens…

 En ce temps là…

« En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon. » Et même lorsqu’une royauté humaine aura été établie, au temps de l’auteur des Juges, les choses resteront loin d’être idéales. Où se trouve donc l’espoir ?

Le propos du livre laisse bien entrevoir une solution : que le peuple de Dieu cesse de considérer l’Éternel uniquement comme celui à qui l’on fait appel quand on est en difficulté, quand il n’y a plus d’autre issue, mais qu’il commence enfin à le reconnaître comme roi et à agir en conséquence ! Comme on aime à le dire dans notre jargon évangélique, qu’il ne soit pas seulement notre Sauveur, mais aussi notre Seigneur !

homme qui pointe un lac du doigt

Plus qu’un roi terrestre, ce dont Israël avait besoin, c’était de reconnaître le roi des rois. Il y a eu un « en ce temps-là » du livre des Juges, mais Dieu ne s’est pas arrêté de travailler depuis. Et cette lecture nous invite justement à poursuivre dans le reste de l’Écriture avec cette question en tête : « Comment Dieu va-t-il s’y prendre pour régner sur son peuple ? »

Le premier texte qui suit Juges donne un premier élément de réponse. Un inconnu entre brièvement en scène. Son nom n’est pas Abimélek, mais Elimélek : « mon Dieu est roi » ! L’espoir change d’horizon. Sa brève histoire, qui ouvre le livre de Ruth, contribuera à la venue au monde d’un autre roi, le roi David.

S’il en était contemporain, David pourrait avoir suscité bien des espoirs à l’auteur des Juges. Cet oint de l’Éternel allait particulièrement œuvrer pour restaurer le culte, pour l’organiser afin qu’il ne donne plus cours à l’idolâtrie comme au temps des Juges. Le livre des Chroniques le montre assez bien. À sa mesure, avec ses imperfections, David contribuera à ce que l’Éternel règne sur son peuple.

Mais Dieu voyait plus loin même que « ce temps-là ». Les promesses adressées à David sont saisissantes : « Ainsi parle l’Éternel, le Seigneur des armées célestes : je suis allé te chercher dans les pâturages où tu gardais les moutons, pour faire de toi le chef de mon peuple Israël. […] J’attribuerai un territoire à mon peuple Israël où je l’implanterai pour qu’il puisse habiter chez lui et ne soit plus inquiété et opprimé comme auparavant par des hommes méchants, comme à l’époque où j’avais établi des chefs pour mon peuple Israël […] Enfin, je rendrai stable pour toujours ta dynastie et ta royauté, et ton trône sera inébranlable à perpétuité. » (2S 7.8, 10-11, 16).

Le règne de David contribuera à ces choses, mais de manière limitée. C’est finalement en Jésus, descendant de David, venu apporter une royauté d’un autre type, que ces annonces trouveront véritablement leur réponse. C’est en lui que prendront fin les malheurs du livre des Juges. Cet enfant né dans une étable, entrera dans Jérusalem sur un humble ânon, mourra sur une croix pour le pardon de nos errances au gré de ce qui nous semblait bon, et ressuscitera le troisième jour : voilà le roi véritable dont Israël et le monde ont besoin.

Oui, en notre temps, nous avons un roi. Et quel roi ! Ceux qui se confient en Jésus ne sont plus ballottés de droite et de gauche, en fonction de ce qui leur semble bon pour eux. Ils peuvent se laisser guider par le Dieu qui est venu à nous, et qui nous a aimés. Lui connaît ce qui est véritablement bon. Et plus que de le connaître, il a engagé ce qu’il avait de plus précieux pour que nous puissions le vivre.

 Attendre le roi dans l’obscurité

Les nuits sont parfois longues. Que ce soit au propre ou au figuré, l’obscurité paraît par moments nous enserrer de toutes parts. Si le livre des Juges est bien marqué lui aussi par les ténèbres qui peuvent frapper nos vies individuelles et collectives, il est pourtant porteur d’espoir.

Beaucoup de choix que nous sommes amenés à faire dans ce monde pourraient suivre ce principe : « faire ce qui me semble bon ». En comprenant cependant combien la vie sans Dieu est désastreuse, nous trouverons d’autant plus délicieux de suivre sa volonté. Nous plonger dans ce livre sombre rend encore plus savoureux le fait que Dieu n’a pas abandonné l’idée de régner sur son peuple. Même dans les ténèbres, Dieu est à l’œuvre. Et viendra un « temps » ou se révélera en plénitude la lumière du règne inauguré en Jésus-Christ.

Main tendue vers le ciel sombre

Que notre vie paraisse ténèbres ou lumière, puisse cette période de l’Avent nous permettre de redécouvrir cette joie pleine et entière : il veut régner sur nos cœurs !

Article paru dans :

décembre 2022

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