PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, pasteur, le Cépage, Bruxelles - Ganshoren

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À Bible ouverte
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Dans votre Bible : 2 Rois 18.1-6

Peut-être vous en souvenez-vous : en mars 2001, les Talibans qui avaient pris le contrôle de l’Afghanistan dynamitaient les immenses bouddhas millénaires de la ville de Bamiyan. Plus récemment, en 2015, les images de la destruction des œuvres antiques exposées dans le musée de Mossoul par les islamistes de Daesh faisaient le tour du monde.

« Actes de barbarie » pour beaucoup. « Ce ne sont que des pierres » pour certains. Mon intérêt pour l’histoire m’oriente nettement vers la première des deux réactions. Pourtant, force m’est de constater que nous avons dans l’Écriture des épisodes qui ne sont pas sans analogie avec ceux-ci, où nos « héros de la foi » d’antan paraissent agir comme nos « barbares » d’aujourd’hui… C’est l’un de ces épisodes, dans 2 Rois 18.1-6, que je vous propose de méditer.

Ézéchias et Nehushtan

« Il fit ce qui est droit aux yeux de l’Éternel, entièrement comme l’avait fait son ancêtre David. » (2R 18.3). Le roi Ézéchias dont il est question ici est un roi exceptionnel. L’ensemble du passage le décrit en des termes très élogieux qu’un seul autre roi, le roi Josias, égalera après lui (2R 23.25). Ézéchias n’a cependant pas grandi dans un contexte facile… Son père Achaz est l’un des plus idolâtres de tous les rois de Juda, allant jusqu’à offrir un de ses fils en sacrifice aux idoles (2R 16.3) et faire des modifications sacrilèges dans le temple de Dieu (2R 16.10-18).

Pourtant, son fils s’engage dans une direction très différente : « Il fit disparaître les hauts lieux, brisa les statues, abattit les idoles. » (v. 4). Le texte ne nous en donne pas le détail mais ces actions pourraient fort bien avoir donné lieu à des scènes semblables à certains égards à celles de 2015 que j’évoquais en introduction (à la différence notoire que l’on n’était pas dans un musée). La destruction d’idoles est courante dans le texte biblique, avec même à plusieurs occasions l’anéantissement de ceux qui les honorent (par exemple Ex 32.15-28 ; 1R 10.18-28 ; 2R 23.15-20 ; cf. Ex 23.24). Le culte de Dieu ne s’accommode pas du culte des faux dieux. Les peuples autour d’Israël bâtissaient des temples pour leurs idoles, leurs sacrifiaient leurs biens, leur temps, leurs récoltes voire leurs enfants, tout cela pour des dieux qui ne sont rien…

De tout temps, les fidèles de l’Éternel ont combattu ces cultes. Cependant, ce qui me frappe est qu’Ézéchias va plus loin encore : « il mit en pièces le serpent de bronze que Moïse avait fabriqué, car les Israélites avaient jusqu’alors brûlé des parfums devant lui ; on l’appelait Nehushtan. » (v. 4). En Nombre 20, après quarante ans d’errance dans le désert, le peuple d’Israël se met enfin en route pour la terre promise. Cependant, comme la génération de leurs pères, les Israélites nés dans le désert sont rebelles à l’Éternel. Et c’est à l’occasion de l’une de leurs rébellions que Dieu envoie contre eux des serpents venimeux (Nb 21.1-9). Lorsque le peuple se repent et que Moïse intercède, Dieu ordonne à Moïse de fabriquer un serpent et de le fixer en haut d’une perche : « Celui qui aura été mordu et qui fixera son regard sur ce serpent aura la vie sauve. » (Nb 21.8).

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Ce serpent avait été conservé jusqu’à l’époque d’Ézéchias, un souvenir extraordinaire d’un épisode où Dieu avait jugé son peuple puis lui avait fait grâce, façonné par Moïse lui-même, entre cinq cents et sept cents ans auparavant. C’est un peu comme si vous aviez en main aujourd’hui un objet qui aurait appartenu à Christophe Colomb ou Martin Luther, à la différence que cet objet témoignait de l’intervention de Dieu lui-même. Un vestige archéologique de premier plan. Imaginez la valeur qu’il aurait eu s’il était parvenu jusqu’à nos jours…

Or voilà qu’Ézéchias prend la décision de mettre en pièce cet objet… Pourquoi ? Parce que cette relique servait à présent à un culte idolâtre. On lui avait même donné un nom, « Nehushtan », qui, en hébreu, dérive parallèlement du mot bronze et du mot serpent. Cet objet, qui devait fondamentalement rappeler l’œuvre de Dieu pour son peuple, avait été détourné et éloignait à présent le peuple de son Dieu. Ézéchias, attaché au culte de l’Éternel, s’en débarrasse donc… Voilà une action courageuse qui a probablement suscité des critiques. Pourquoi le détruire ? N’était-ce pas trop radical ?

Le texte biblique ne commente pas directement cet acte… Néanmoins, l’ensemble de ce qui est dit du roi Ézéchias autour de cet événement laisse plutôt penser à une appréciation positive de l’auteur, même si la destruction de cette relique pour Israël a dû en ébranler certains. Au fond, ce serpent n’était qu’un objet… Que vaut un objet par rapport à l’adoration de l’Éternel ? C’est bien de cela qu’il était question. Ézéchias a su voir le serpent derrière le serpent, le serpent derrière ce trésor… Et la méditation de ce texte nous invite à ce sujet à la vigilance…

Le serpent derrière nos trésors

Même s’il était habituel à cette époque, le culte des idoles fabriquées en bois, de pierre ou de métal pour lequel les prêtres peuvent exiger des sacrifices d’enfants, a quelque chose de très clairement repoussant pour nous aujourd’hui… Plusieurs passages du livre d’Ésaïe tournent en dérision ce culte avec beaucoup d’ironie (par exemple Es 44.9-20) et nous sommes héritiers de siècles de christianisme qui ont affirmé toute la vanité de ces idoles…

Pourtant, le récit de l’action d’Ézéchias nous donne à voir la destruction d’un objet qui n’était pas a priori une idole et était même quelque chose d’excellent. Or le péché, l’égarement de l’humanité, peut corrompre bien des trésors (Rm 1.22-25). Ce texte nous appelle à la vigilance quant aux excellentes choses auxquelles notre cœur peut s’attacher.

Derrière d’excellentes choses, il peut y avoir un serpent qui veut nous tromper. Pierre nous exhorte ainsi : « Soyez sobres, restez vigilants : votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. » (1P 5.8). Et notre cœur se laisse aller à certaines ruses de ce serpent, pour faire de nous des idolâtres plutôt que des adorateurs de Dieu obéissant à sa Parole. Il y a bien sûr des pièges plus visibles dans lesquels nous pouvons nous laisser attirer, par exemple l’occultisme ou l’immoralité sexuelle… Cependant, c’est plus souvent par ruse que nous nous laissons entraîner loin de l’amour de Dieu, avec des choses aussi excellentes, sinon encore bien plus, que cette relique à laquelle Ézéchias a fait renoncer Israël.

Après quoi court notre monde aujourd’hui ? Quelles sont les bonnes choses qui font nos vies ? Le couple, les enfants, le travail, la nourriture, la sexualité, l’argent, le sport, les voyages, la science, la culture, le confort, le progrès… Autant de choses excellentes, et il y en aurait d’autres, qui peuvent se voir imputer un rôle qui ne leur appartient pas. Ces dons de Dieu, de diverses manières, contribuent à notre bonheur, à notre sécurité, à notre stabilité. De là à les confondre avec le Dieu qui est suprêmement notre bonheur, notre sécurité, notre stabilité, il n’y a qu’un pas que l’humain est prompt à franchir.

Ce passage d’une considération saine des dons de Dieu à l’idolâtrie n’est peut-être pas toujours facile à détecter dans nos vies mais la thématique des sacrifices me semble pouvoir nous aider à rester vigilants. Certes, nous ne pratiquons plus de sacrifices d’animaux. Néanmoins, ce n’est pas sans raison que notre vocabulaire moderne a conservé le mot « sacrifice ». Tout au long de notre vie, nous abandonnons certains biens à des causes supérieures. Qui a autorité sur ces sacrifices ? Qui en fixe le cadre ? Dieu ou les idoles ?

Examinons notre temps : à qui est-il consacré ? Qui fixe les règles de son emploi ? Est-ce le Seigneur qui nous appelle à équilibrer travail et repos ? Ou est-ce le succès ou l’argent transformés en idoles tyranniques ? Et notre argent, qui en reçoit l’offrande ? Nos dépenses et nos investissements sont-ils conditionnés par la Parole de notre Dieu ou régis par notre bon plaisir et nos ambitions ? Nous sommes horrifiés en considérant un Achaz qui a été jusqu’à immoler son propre fils en sacrifice aux idoles. De tels extrêmes ne peuvent que nous repousser. Pourtant, nous sommes parfois prêts à sacrifier beaucoup à nos propres idoles. Des enfants ne seraient-ils pas aujourd’hui encore « sacrifiés », délaissés ou malmenés pour satisfaire les exigences de notre égoïsme, de notre appât du gain, de notre volonté de succès ?

Qui dirige nos pensées ? « Il faut se lever tôt » ; « Il faut profiter de la vie » ; « Il faut gagner de l’argent » ; « Il faut bien travailler à l’école » ; « Il faut prévoir sa retraite » ; « Il faut voyager »… Tous nos « il faut », s’ils ne sont pas reliés d’une manière ou d’une autre à Dieu par sa Parole, nuancés par celle-ci, peuvent se transformer en prétextes pour vivre comme nous l’entendons ou en esclavages absurdes à des idoles qui nous détruisent.

Quand nous imaginons que nous ne pourrions pas exister ou avancer sans telle chose ou telle personne – les autres peuvent aussi devenir des idoles – nous orientons notre pensée vers l’idolâtrie. Bien sûr, Dieu nous prodigue d’excellents dons, nous permet de côtoyer des personnes extraordinaires… Et certains jouent un rôle de premier plan dans notre vie. Mais si nous cessons d’y voir des cadeaux de sa grâce, qu’il pourrait aussi nous retirer, nous risquons de nous égarer, d’être plongés dans l’inquiétude et de faire à ces choses ou ces personnes des concessions que nous n’aurions pas dû faire. Lorsque nous laissons quelque chose ou quelqu’un régir notre vie, notre pensée ou nos actes sans nous en référer à Dieu, nous courons un danger. L’idolâtrie est destructrice pour nous.

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Elle l’est également pour son objet. Ce qui est vénéré est amené à revêtir un rôle qui n’est pas le sien. Le bronze n’est pas très malléable à cet égard, mais les esprits humains le sont : enfants chargés du bonheur parental et poussés à se conformer à des attentes inadéquates ; dirigeants adulés finissant par se croire infaillibles… Le danger est réel. Toutefois, l’idole n’est pas Dieu : elle ne pourra finalement que nous décevoir et courra alors le risque d’être rejetée ou détruite : observons le sort qui a atteint le serpent.

Quels sont aujourd’hui vos trésors ? Qu’avez-vous de plus précieux ? Que poursuivez-vous d’excellent ? Comment Dieu a-t-il son mot à dire dans cela ? Et si cette chose, ou cette personne vous éloignait de Dieu, de ce qu’il a pour vous… seriez-vous prêt à prendre des distances ? Ou plus simplement à changer votre regard ?

Le Fils élevé pour nous

Bien longtemps après sa destruction, le serpent de bronze réapparaît, dans l’Évangile de Jean, dans les paroles de Jésus à Nicodème : « Et tout comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut aussi que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. » (Jn 3.14-15).

Dans la bouche de notre Seigneur, ce qui était devenu une idole retrouve sa vocation : pointer vers l’œuvre de Dieu. Or le voilà chargé d’indiquer une œuvre nouvelle que Jésus-Christ va accomplir, infiniment plus grande que la délivrance des serpents dans le désert. Tout comme le serpent de bronze avait permis la guérison des Israélites, Jésus, le Fils de l’homme, sera élevé sur la Croix et tous ceux qui regarderont à lui trouveront la vie éternelle, la guérison de la morsure du serpent qui les a entraînés à sa suite dans le péché (cf. aussi Jn 12.31-34).

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La grâce, le pardon, la vie avec Dieu dès maintenant et pour l’éternité, la poursuite de l’amour pour Dieu et le prochain, les bonnes œuvres dans lesquelles notre Seigneur nous entraîne, à sa gloire… Voilà tout ce qui a été rendu possible par Jésus-Christ… Voilà ce que nous avons reçu qui vaut tellement mieux que tous les plus précieux trésors de notre monde… Voilà ce pourquoi nous pouvons au fond abandonner tout ce que nous avons : suivre ce Christ qui nous a aimés, l’aimer à notre tour de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force et de toute notre pensée (cf. Lc 10.27).

Les destructions que j’évoquais en introduction sont le fait de régimes théocratiques qui ne font même pas la différence entre des statues dans des musées, des idoles des temps passés, et les réelles idoles qui devraient être combattues aujourd’hui. Certes, dans les réactions qu’ils ont provoquées, on a pu se demander s’ils n’avaient pas au passage égratigné des idoles de l’Occident : culture, patrimoine, qui pour quelques temps ont pu paraître plus importants que les vies humaines impliquées dans ces conflits. Dirigés par leurs propres idoles, trompés par le serpent, ces humains se perdent dans une religiosité aveugle et destructrice qui ne connaît pas le vrai Dieu.

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La foi chrétienne n’est pas cela. Nous ne sommes plus dans le régime théocratique de l’Ancien Testament où un pouvoir politique avait la responsabilité de la suppression des idoles. Toute l’histoire biblique, y compris notre épisode, nous montre que le problème ne se situe pas fondamentalement dans des objets, ni-même dans les autres qui nous environnent, avec leurs cultes étrangers. C’est avant tout dans nos propres cœurs que se joue la bataille de l’idolâtrie. Il n’y avait rien dans le serpent de bronze lui-même qui rende nécessaire sa destruction : le problème résidait dans le cœur des Israélites. Et si le cœur n’est pas changé, ce n’est pas la disparition d’un objet qui apportera une solution. Israël trouvera d’autres idoles.

Certes, l’éloignement d’un objet d’idolâtrie peut faire partie du processus de notre transformation. Nous aurons peut-être parfois, pour nous-mêmes, tout intérêt à nous détourner de ce ou celui qui troublerait notre marche (Ps 1.1 ; 1Co 5.9-13), faire de la place dans nos espaces et dans notre tête (Hé 12.13). Il est par exemple bien connu que ceux qui ont été égarés par l’occultisme feraient mieux de se défaire de ce qui pourrait les y rattacher. Mais fondamentalement, ce sont nos cœurs qui ont besoin d’être changés pour s’attacher à Dieu. Et cela n’est possible que grâce à ce qu’il a accompli en Jésus-Christ, élevé sur la Croix.

Voilà ce qui vaut mieux que tous les serpents de bronze, tous les trésors, toutes les reliques que contient notre monde… Puissions-nous apprendre à toujours mieux aimer celui qui nous a fait un tel don. Pas besoin de tout casser pour cela : ce sont nos cœurs que nous devons lui remettre, en lui qu’il nous faut placer notre confiance. ■

Article paru dans :

mars 2020

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