PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, Église de Bruxelles-Stockel.

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À Bible ouverte
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Au milieu des scènes de résurrection, l’Évangile de Matthieu glisse un petit épisode qui nous permet d’assister à la naissance d’une des plus anciennes théories du complot… Je vous invite à relire Matthieu 28.11-15.

Les disciples comploteurs

La fin de l’Évangile est pleine de joie : Jésus est bel et bien ressuscité. Le Seigneur a vaincu la mort ! Les femmes venues au tombeau le rencontrent et s’en vont porter l’extraordinaire nouvelle aux disciples. Nous pouvons imaginer la joie dans leur cœur. Nous y goûtons nous-mêmes chaque fois que nous relisons ces textes.

Notre passage met en lumière un autre mouvement. Il est possible de prendre une autre voie que la reconnaissance de la vérité de ce qui s’est passé en Jésus-Christ.

Tandis que les femmes sont en chemin, quelques gardes du tombeau se rendent auprès des prêtres auxquels ils devaient répondre de leur mission. Les prêtres tiennent alors conseil avec les responsables du peuple et décident, ensemble, de dissimuler ce qui s’est passé. Ils n’enquêtent pas. Ils savent d’emblée que ce qu’ils pourraient découvrir ne leur plaira pas. Ils élaborent donc ce que certains appellent aujourd’hui des « faits alternatifs ».

Murmures

Ils inventent une théorie du complot : les disciples auraient dérobé le cadavre de Jésus. Ceux qui s’étaient enfuis, apeurés, à l’arrestation de leur maître seraient venus de nuit en présence d’une garde de plusieurs hommes armés. Ils auraient détaché les sceaux apposés sur la tombe, roulé la lourde pierre et sorti le corps de Jésus, tout cela sans réveiller personne qui puisse donner l’alerte. Et, bien sûr, ils auraient laissé des indices pour que les soldats endormis puissent deviner à leur réveil qu’il s’agissait d’eux. Qui d’autre de toute façon ?

Cette version des faits est totalement absurde. Non seulement en elle-même, mais parce que les disciples allaient plus tard risquer leur vie pour proclamer que Jésus était ressuscité. S’ils avaient su qu’il s’agissait d’un mensonge, auraient-ils tenu tout ce temps ? Où auraient-ils trouvé le courage de faire face aux autorités qui les menaçaient ? Pourquoi prêcher un Évangile consciemment falsifié ? Le ministère des apôtres est inexplicable sans la résurrection. Leur audace, leur courage, leur zèle, leur persévérance, toute l’expansion du christianisme sont inexplicables sans la résurrection.

Tout cela, les responsables du peuple ne le savent pas encore. Ils tentent donc leur chance et passent un arrangement avec les soldats. Même si le mensonge proposé n’est pas sans danger pour eux – ils n’étaient pas censés dormir –, il y a de l’argent à la clé, et les responsables juifs leur assurent leur protection...

Ainsi, cette version de l’histoire, dit le texte, s’est répandue jusqu’à « aujourd’hui » parmi les Juifs. C’est l’aujourd’hui de Matthieu, au premier siècle de notre ère, parmi les Juifs. C’est aussi notre aujourd’hui contemporain où des théories pour échapper à la réalité de la résurrection de Jésus continuent à être propagées dans le judaïsme, dans l’islam, parmi les athées... Mais ce n’est certainement pas grâce à leur crédibilité que ces explications persistent. En fait, le rapport des gardes est si peu vraisemblable que Matthieu se permet même de le mentionner dans son Évangile, sachant très bien que quiconque le voulait aurait pu aller vérifier ce récit. Il ne craint pas du tout ce mensonge en lui-même.

Lorsque vous voulez noyer une vérité, pas besoin que vos mensonges ou demi-vérités soient plausibles ou bien fondés. Il suffit que votre autre version plaise, qu’elle convienne à ce que vos auditeurs veulent entendre ou leur évite une réalité qui les dérange. Nombreux sont ceux qui relaient de fausses informations sur les réseaux sociaux, sans même les avoir sérieusement vérifiées, juste parce que le titre les attirait. C’est totalement irresponsable mais c’est ainsi...

C’est ainsi, parce nous ne voulons pas mourir à nous-mêmes.

Une lumière qui fait peur

Nous pourrions être étonnés de la réaction des responsables du peuple dans cet épisode. Celui qui avait annoncé être le Messie venait de revenir à la vie. Un miracle extraordinaire ! Une vérité stupéfiante ! Il y a une certaine ironie dans le texte : leurs propres précautions (Mt 27.62-66) les mettent devant l’évidence qu’ils ne veulent pas voir. Sans les gardes, le doute aurait été permis mais les voilà face à des faits très clairs.

C’était le temps de courir à la recherche de celui qui était ressuscité, de se repentir de l’avoir rejeté, d’ouvrir son cœur à la vérité, d’aller retrouver les disciples et de fêter avec eux la rédemption d’Israël, d’assumer leur rôle de responsables du peuple en reconnaissant la vérité et en appelant le peuple à faire de même. Or les voilà qui veulent immédiatement refermer le dossier, noyer la vérité dans le mensonge. Les voilà qui endurcissent leur cœur.

Ce que cette attitude révèle des cœurs humains est terrifiant mais peut-être pas si étonnant. Les humains ont peur de ce qui les conduit à mourir à eux-mêmes. J’ai été interpelé par cette citation du théologien allemand Wolfhart Pannenberg : « L’évidence de la résurrection de Jésus est si forte que personne ne la remettrait en question sans ces deux choses : premièrement, il s’agit d’un événement très inhabituel. Deuxièmement, si vous croyez que cela est arrivé, vous devez changer votre manière de vivre. »

Le plus grand argument contre la résurrection aujourd’hui encore, outre son caractère inhabituel, est que celui qui reconnaît sa réalité ne peut que changer de vie, mourir à son ancienne vie. La résurrection de Jésus bouleverse l’histoire de l’humanité. Elle révèle qu’il y a bien un Dieu dans ce monde. Elle révèle que ce Dieu est intervenu en Jésus-Christ. Elle révèle la vérité de l’enseignement de Jésus-Christ et la nécessité de son sacrifice pour nous réconcilier avec Dieu. Elle révèle la grandeur de Dieu, son immense amour, sa compassion et la misère de l’humanité qui tente de s’en sortir par elle-même.

Tout cela est profondément dérangeant. Imaginez l’inconfort de ces responsables qui passent pour religieux aux yeux de tous mais ont rejeté celui qui se révèle à présent être le Messie. Ils nient l’évidence, parce qu’ils savent que ce qu’ils pourraient découvrir bousculera irrémédiablement leur position, leur pouvoir, leur système, leur vie. Ils savent que la vérité marquera la fin de leur vie selon leurs propres règles. Ce serait leur mort.

« La lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leur manière d'agir était mauvaise. En effet, toute personne qui fait le mal déteste la lumière, et elle ne vient pas à la lumière pour éviter que ses actes soient dévoilés. » (Jn 3.19-21).

Homme devant un rai de lumière

Les responsables du peuple refusent la vérité et entraînent les autres dans leur déni. Ils préfèrent les ténèbres à la lumière. Ils préfèrent rester dans leur manière de penser, de fonctionner, que de se laisser interpeler, que de connaître la vérité, et la vie. Il est profondément triste de voir comment nous, humains, pouvons préférer l’obscurité qui ne nous bouscule pas à la lumière qui pourrait nous faire vivre.

Bien des obstacles expliquent nos résistances à certaines vérités et, suprêmement, la résistance de l’humanité à la vérité de la résurrection : la peur de perdre certaines illusions auxquelles nous sommes raccrochés ; la peur de perdre des relations auxquelles nous tenons, des gens qui ne nous suivront pas si nous marchons vers la vérité ; la peur d’être rejeté ; la peur de perdre son statut, sa place : les prêtres jouaient gros dans cette situation. Pensons aussi à la peur d’admettre que nous nous sommes trompés, que nous avons été trompés, et que nous avons trompé les autres, la peur d’être ridicule, d’être seul, de perdre nos repères, de perdre le contrôle. Tant de domaines où nous craignons une forme de mort...

Pourtant, la lumière a brillé !

La lumière de la vie

Après l’obscurité, l’aveuglement et les manœuvres des chefs du peuple, la suite du texte de Matthieu (28.16-20) est d’autant plus lumineuse. Les disciples se rendent en Galilée, conformément à la demande de Jésus. Et les voilà à leur tour face au Ressuscité, dans l’adoration. Néanmoins à cette adoration se mêlent aussi les questions. Ils ne savent que penser, que dire. Ils ont même des doutes selon certaines traductions (v. 17). Les disciples sont semblables à nous !

Et Jésus prend la parole, pour ces mots extraordinaires que beaucoup connaissent : un envoi en mission des disciples pour faire d’autres disciples parmi tous les peuples en les baptisant et en leur enseignant à obéir à sa Parole. Un appel exigeant qui continue à retentir pour chacun de nous aujourd’hui, auquel chacun de nous est appelé à contribuer, mais un appel encadré par ces deux affirmations extraordinaires de Jésus sur lui-même :

« J’ai reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre »

« Et voici : je suis moi-même avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

Jeune homme dansant

Jésus est ressuscité d’entre les morts ! Revenu à la vie ! Mesurons-nous la révolution que cela implique ? Il a reçu tout pouvoir et nous tient dans sa main jusqu’à la fin du monde. C’est un espoir inouï, une lumière merveilleuse. Imaginez cela : un mort revenu à la vie. Et plus encore, une vie de résurrection, un corps glorifié, vivant pour toujours. Quelle espérance extraordinaire pour nous tous qui peinons, souffrons dans notre corps, dans notre monde !

Il y a un ailleurs, un après, un autrement. Une réalité qui change tout... Si Jésus est ressuscité, s’il a triomphé de la mort d’une manière si éclatante, nous n’avons plus de raison de craindre de perdre tout ce à quoi nous tenons, toutes les sécurités auxquelles nous nous rattachons, et que nous voulons parfois préserver malgré le fait qu’elles nous font souffrir, malgré le fait que la vérité doit être dissimulée pour qu’elles subsistent.

Nos peurs, Jésus y répond en tous points. Il peut être profondément déstabilisant, douloureux, de faire face à des vérités qui remettent en question ce que nous sommes, ce que nous avons fait, la manière dont nous avons l’habitude d’agir. Il peut être profondément effrayant d’imaginer, comme c’était le cas pour ces responsables du peuple, que nous ayons pu nous tromper et entraîner d’autres avec nous, leur faire du tort. Il est profondément triste de vivre la confrontation ou la rupture avec des personnes qui ne comprennent pas le chemin que nous prenons, de voir se défaire ce en quoi nous avions cru par le passé.

Cependant, il n’y a pas d’Évangile, pas de foi chrétienne, pas de résurrection, sans passage par la mort : la mort à soi-même, à ses anciennes manières de penser, de parler, de faire, qui ne sont pas illuminées par l’Évangile, qui ne sont pas porteuses de sa vie.

Les prêtres n’ont pas pu connaître la vie parce qu’ils estimaient avoir trop à perdre s’ils se repentaient, l’endurcissement de leur cœur les ayant rendus aveugles. Ils ne pouvaient souffrir que la lumière les éblouisse, les débarrasse de leurs illusions. Si, malgré ces obstacles, nous marchons à la suite de Christ, nous marchons vers la vie, dans la vie-même, dès maintenant. La résurrection de notre Seigneur nous en donne la ferme assurance.

Lorsque tout vole en éclat, que nous ne savons plus comment recomposer les pièces du puzzle, ce roc subsiste, cette lumière continue à nous diriger : lumière de la vérité, de la grâce, du pardon. Ceux qui font semblant que tout va bien alors que ce n’est pas le cas, qui tentent de maintenir en place un puzzle qui se disloque pour ne pas voir la fragilité ou le caractère trompeur de ce à quoi ils se sont accrochés, se privent de cette lumière. Cette lumière qui est offerte à tous ceux qui osent passer par une véritable repentance et recevoir la grâce.

J’ai été touché il y a quelques temps par ce beau témoignage concernant une Église qui a dû faire face à des accusations d’abus sexuels contre d’anciens responsables : « L’Église était prête à se montrer vulnérable, à oublier un instant sa réputation et à croire que la lumière de la vérité serait aussi celle de la grâce de Dieu(*) ».

Pour reprendre les paroles de Paul (2Tm 3.5), que notre foi ne se limite pas aux apparences de la piété tout en reniant ce qui en fait la force, mais que nous puisions dans la force extraordinaire manifestée en Christ pour entrer véritablement dans une vie nouvelle. L’Évangile est une puissance de résurrection. Nous n’avons plus besoin de cacher les coins sombres de ce qui se passe dans nos vies, nos familles, nos Églises. Le Seigneur peut les transformer par sa lumière, par sa puissance.

C’est en nous laissant ainsi transformer que nous pourrons suivre l’appel que contient ce passage : aller, faire des disciples de toutes les nations, les baptisant et leur enseignant à obéir à tout ce que Jésus a prescrit. C’est en marchant dans la lumière que nous serons porteurs de lumière et de vie autour de nous.

Oser la mort, recevoir la vie

Y a-t-il des vérités auxquelles vous résistez aujourd’hui ? Des questions que vous refusez d’examiner ?

S’il s’agit de la résurrection de Jésus, de la valeur de son œuvre pour votre vie, au centre de ce que nous célébrons à Pâques, je ne peux que vous inviter à vous mettre en route pour explorer cette réalité centrale pour la foi chrétienne et pour la vie de tout humain. Et si Dieu l’avait réellement fait ? Rien ne lui est impossible après tout. Demandez à un croyant que vous connaissez de vous en parler. N’ayez pas peur des réponses que vous trouverez, même si elles vous appellent à changer de vie. La vie à la lumière de l’amour de Dieu vaut infiniment mieux que tout ce que vous pourriez perdre.

Si vous avez déjà placé votre foi en la résurrection de Jésus, y a-t-il des endroits où cette foi pourrait s’approfondir ? Y a-t-il aujourd’hui des vérités auxquelles vous résistez par peur de ce qu’elles signifieraient pour votre vie si vous les acceptiez ? Par peur de mourir ? Carrefour en montagne En quoi la lumière de la résurrection peut-elle vous aider, dans votre vie de foi, dans votre vie de tous les jours, à ne pas considérer seulement ce qui renforce vos points de vue (y compris en matière de vérités bibliques), mais aussi ce qui les nuance, voire les conteste ?

Ce texte place à un carrefour chacune de nos vies, individuelles et communautaire : suivre ces prêtres et responsables du peuple dans l’obscurité, dans la crainte de notre mort, ou nous tourner avec les disciples vers la lumière et la vie. Le Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts n’abandonnera pas ceux qui se confient en lui et marchent selon ses voies.

Oui, aujourd’hui encore chacun de nous peut recevoir la vie, choisir la vie, la laisser s’approfondir en lui par Jésus-Christ. Puissions-nous quitter les ténèbres, quel qu’en soit le prix. Par-delà la mort, notre Seigneur nous précède déjà.

Il est vraiment ressuscité !


(*) « L’humilité de faire face à des accusations d’abus », Christianity Today, avril 2021.

Article paru dans :

mars 2022

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