PAR : Kévin Commere
Pasteur, Église évangélique baptiste La Bonne Nouvelle, Montbéliard

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À Bible ouverte
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Une simplicité transformatrice

C’est tout à la fois très subjectif et très arbitraire, mais je suis parfois frappé quand j’entends certaines personnes prier. Il me vient à l’esprit : « Seigneur, quelle belle personne elle semble être ! » Ce n’est pas que ces prières auraient les accents d’une spiritualité exceptionnelle ou qu’elles contiendraient de beaux mots savants ou des versets bibliques, etc. Elles me frappent parce que, d’une certaine manière, elles me semblent particulièrement vraies.

Personne en prière

Vérité. Sincérité… J’aimerais vous parler d’un personnage biblique dont la prière me touche. Si ses paroles ne se sont pas faites entendre aux oreilles humaines, on ne peut douter que sa prière venait du fond du cœur. Je vous invite à relire ce récit dans 1 Samuel au chapitre 1, les versets 1-18.

Anne pleure, mais Anne prie

La première personne dont le comportement pourrait nous interpeler dans ce texte, est Peninna. Elle est bénie, a de nombreux enfants mais on se pose rapidement une question à son sujet : pourquoi tant de haine ? Certes, Elkana semble davantage chérir Anne. C’est sa première femme. Elle est plus proche de lui. Il lui donne la meilleure part quand ils s’en vont au sanctuaire pour les pèlerinages et ainsi de suite. Elle a donc tout.

Pourtant, c’est bien Anne qui souffre le plus. Contrairement à ce qui s’était passé autrefois entre Agar et Sara (Gn 16;21.8-20), Anne ne tente pas de se venger de sa stérilité sur Peninna ! Elle souffre de sa situation mais ne semble pas jalouser l’autre épouse de son mari. Alors pourquoi tant de haine ?

Personne qui pleure

Je dois l'avouer humblement, il m’est difficile d’avoir de la sympathie pour Peninna. Chaque année, elle entretient la douleur d’Anne ! Elle me fait penser à la femme de Job ! Quand tout va mal, ces deux femmes encouragent à maudire Dieu en face pour la honte et la culpabilité que ce dernier semble leur imposer ! Parce que c’est bien de cela dont il est question ici. Bien des gens à l’époque pouvaient imaginer que la stérilité d’Anne était le fruit d’une désobéissance particulière, d'une faute, d'un péché non avoué...

Job et Anne se ressemblent dans le sens où ils se trouvent comme poussés à bout ! Poussés à bout pour enfin voir les choses du mauvais œil. Poussés à bout pour laisser éclater colère et amertume sans respect pour le Très-Haut. C’est justement cela qui rend leur témoignage plus puissant et plus beau.

Le livre de Job nous rend témoins de toutes les pérégrinations de son esprit, toutes ses interrogations, ses espoirs, ses doutes, ses motivations, ses justifications. Cela prend tout un livre. Avec Anne, il s’agit de quelque chose de beaucoup plus discret, de beaucoup plus calme. Il y a certes des larmes mais pas de cris. Si cela n’enlève rien à la douleur, nous restons dans l’intériorité d’un face à face.

Surtout, je considère comme un véritable encouragement pour moi-même la façon dont, malgré tout, le regard d’Anne n’a pas changé !

Écoutez encore ses paroles : « Éternel, maître de l’univers, si tu consens à regarder la détresse de ta servante, si tu te souviens de moi… » Poussée à bout comme elle l’est, Anne fait ce à quoi on ne s’attend pas. Alors que ces pèlerinages sont normalement des occasions de reconnaissance pour les bénédictions que Dieu a accordées, Anne les vit à certains égards comme des malédictions, des temps de douleur. Et au lieu de tout laisser tomber, poussée comme elle l’était, la voilà qui se cramponne d’autant plus.

La douleur est là, mais Anne s’accroche. La douleur est là, mais son regard sur Dieu n’a pas varié. Non seulement Anne ne le rend pas responsable, non seulement elle ne l’accuse pas mais elle se tourne vers lui comme le Dieu qui, s’il le veut, peut lui accorder cet enfant qu'elle espère !

Et pour moi, pour nous, comment cela se passe-t-il ? N'aurions-nous pas plutôt tendance à nourrir le côté « si tu m’abandonnes, je t’abandonne » ? Ou le « si tu me fais ça, je ne t’écoute plus ! », etc. ? Dieu est-il encore Dieu pour moi quand tout va mal ? Anne pleure, oui… mais Anne prie. Pourquoi ? Parce que, fondamentalement, son regard sur Dieu n’a pas changé, il n’est pas dicté par les circonstances.

Le Dieu d’Israël est SON Dieu

Ce qui est encore plus intéressant est la façon dont Anne prie !

Tout d’abord, il nous est dit à deux reprises qu’Anne pria longtemps. Dans notre pratique, ce n’est pas forcément ce qui compte le plus. Que la prière soit courte ou qu’elle soit plus longue, peu importe, sa valeur n’est pas corrélée à sa taille. Un peu comme pour la prédication dominicale, ce n’est pas la longueur qui fait la qualité.

Pourtant, je crois que si l’auteur nous renseigne sur la durée de cette prière, ce n’est pas par hasard. La prière d’Anne a besoin de temps. On ne se débarrasse pas d’un fardeau qui s’est autant alourdi au fil des années comme on lance un galet pour lui faire faire des ricochets à la surface de l’eau. Non ! La prière d’Anne a besoin de temps. Il faut du temps pour admettre, du temps pour dire, du temps pour demander ce dont on a vraiment besoin. Il faut parfois du temps pour repérer ce qui est fondamentalement au cœur de la douleur. Il paraît qu’en entreprise on utilise parfois la méthode des « cinq Pourquoi ? ». En effet, cette question doit parfois être répétée à plusieurs reprises avant d’arriver à la racine du problème.

Nous ne savons pas exactement ce qu’il en était d’Anne. Peut-être que tout était très clair dès le début pour elle. Qu’importe, le temps passé dans la prière dit l’ampleur de sa douleur. Et soit dit en passant, ce n’est pas pour elle que le temps est long ! C’est pour Éli ! « Est-ce que tu vas rester longtemps ainsi ? Tu as trop bu, sors d’ici ! » (v. 14).

Pour Anne, peut-être que tout est passé très vite ! C’est souvent le cas quand tout notre être est pleinement impliqué dans ce que nous faisons. Cependant, pour Éli, qui est là et l’observe, il y a quelque chose d’insolite, d’inédit. Qu’elle prie dans son cœur paraît avoir été étonnant : « Anne parlait dans son cœur et ne faisait que remuer les lèvres, on n’entendait pas sa voix. » (v. 13) À tel point qu’Éli finit par croire qu’elle est ivre ! Au passage, cela en dit long sur la situation d’Israël s’il était possible d’entrer dans le sanctuaire en étant complètement saoule… On peut certes imaginer que l’on mangeait et l’on buvait bien pendant ces pèlerinages mais cela reste étonnant.

En tout cas, l’auteur se plaît à nous montrer qu’Anne n’est pas comme les autres ! Qu’elle prie dans son cœur n’a absolument rien de surprenant pour nous, mais ce qui était d’usage à l’époque, ce qui était normal, c’étaient les prières à haute voix ! Ce n’est peut-être pas la façon la plus personnelle, me direz-vous ! Pourtant, tel était l'usage. Il faut imaginer des hommes, des femmes et des enfants se présentant dans le sanctuaire, offrant des sacrifices, accomplissant des gestes définis et récitant des prières apprises de génération en génération ! Des prières de bénédiction, des prières de louange, des prières de demande de pardon, etc. Et on pratiquait cela à plusieurs, le plus souvent en famille !

Alors oui, la prière d’Anne a quelque chose d’inédit pour Éli qui la regarde. Peut-être a-t-il d’autant plus le loisir de l’observer qu’il est probable qu’il n’y avait pas foule dans le sanctuaire en cette période des Juges, sans roi en Israël et où chacun faisait ce qui lui plaisait ; épisode d’infidélité au Seigneur à bien des égards !

Mis bout à bout, ces aspects soulignent le caractère d’Anne et en disent long sur sa foi, sur sa compréhension de Dieu aussi. En effet, le Dieu d’Anne n’est pas un Dieu complexe. Il n’y a qu’à voir avec quelle simplicité elle s’approche de lui ! Le Dieu d’Anne est abordable. Le Dieu d’Anne est accessible et j’ai envie d’ajouter, peut-être un peu paradoxalement au milieu de tous les rites sacerdotaux de l’Ancien Testament, qu’il est accessible même sans cérémonie protocolaire ! Anne vient avec sa souffrance, sa douleur, et elle sait que le Dieu d’Israël, qui est aussi SON Dieu, l’entend.

Porte ouverte

Je ne sais pas si nous, chrétiens d’aujourd’hui, mesurons toujours le privilège qui est le nôtre de pouvoir prier comme nous le faisons. Nous n’avons pas de barrière entre Dieu et nous ! Notre accès est libre auprès du Père ! Pas de sacrifices et de rites comme dans l’Ancien Testament ! Si nous voulons passer un temps dans la prière avec le Seigneur, où que ce soit, c’est possible ! Grâce à Jésus nous pouvons être en véritable communion avec Dieu par l’Esprit saint ! Les croyants de l’Ancien Testament, eux, ne jouissaient en principe pas de la même liberté.

Pourtant, je ne suis pas sûr que nous ayons quelque chose à enseigner à Anne en matière de « communion avec Dieu ». Peut-être serait-ce même plutôt le contraire… J’aime la manière dont la version du Semeur traduit les v. 15-16 : « Non, monseigneur, je ne suis pas ivre, je n’ai bu ni vin ni boisson alcoolisée, mais je suis très malheureuse et j’épanchais mon cœur devant l’Éternel. Ne me juge pas mal et ne me considère pas comme une femme perverse. Si j’ai prié aussi longtemps, c’est parce que mon cœur débordait de chagrin et de douleur. »

Tout simplement… Face à ce qu’il voit et entend à présent, Éli ne peut que la bénir. Le grand-prêtre a dû rapidement réviser sa pensée et constater qu’il avait en réalité devant lui une très belle personne. Une personne qui ne joue pas devant Dieu, une personne qui se montre telle qu’elle est. Une personne vraie. Une vraie belle personne.

Une simplicité transformatrice

Vous connaissez probablement la suite de l’histoire, comment cette prière d’Anne sera à l’origine de la naissance de Samuel, l’un des grands prophètes d’Israël. Je ne peux que vous inviter à relire ces récits. Déjà au verset 18, juste après cette prière, le changement apparaît. Anne retourne auprès d’Elkana, Peninna et ses enfants pour manger et donc se réjouir avec eux. Il faut se les imaginer revoir Anne avec, nous dit le texte, un visage transformé ! Ils se sont certainement posé des questions ! Mais elle, elle savait.

Porte ouverte

C’est dans, par et suite à la prière que Dieu a changé son cœur. C’est dans, par et suite à la prière que Dieu l’a consolée en lui donnant d’espérer davantage encore après la bénédiction reçue. Son visage n’est plus triste mais léger, débarrassé du poids du fardeau, confiant en Dieu pour la suite.

Ce texte ne saurait légitimer une prière chantage, une prière marchandage. Ce n’est pas parce que nous prierons longtemps ou que nous promettrons quelque chose à Dieu en retour de sa grâce que nous serons exaucés. Si ce n’était que ça, Anne aurait pu le faire bien plus tôt ! Or elle semble bien connaître son Dieu. Sa prière n’est pas juste une bouteille jetée à la mer. Sa prière, son vœu d’offrir au Seigneur le cadeau que lui-même lui ferait, témoigne de sa consécration à elle ! Bien sûr qu’elle veut cet enfant ! Elle le désire du plus profond d’elle-même ! Néanmoins, Anne sait aussi que le don, cet enfant, ne sera jamais plus grand que le donateur : Dieu ! À méditer n’est-ce pas ?

Porte ouverte

Finalement nous ne saurons jamais exactement tout ce qu’Anne a exprimé dans sa prière. Toutefois, le texte nous laisse quand même comprendre que ce que nous en savons est un modèle du genre. Un modèle de piété, de vérité, de consécration, de simplicité. Nous entendons parfois tout cela dans les prières de nos frères et sœurs. Puissent-ils, eux aussi, l’entendre dans les nôtres. Amen !

Article paru dans :

août 2022

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