PAR : Léo Lehmann
Membre du comité de rédaction, pasteur.

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Il y a quelques semaines, une explosion de gaz dans notre immeuble nous a subitement laissés sans logement. Notre appartement n’a subi que très peu de dégâts, mais divers tests de sécurité et travaux dans le bâtiment sont nécessaires avant un véritable retour chez nous. Cela fait donc quelques temps que nous vivons chez des amis qui ont l’espace et la générosité pour nous accueillir.

femme qui se cache

La situation est inattendue, étrange, mais nous y éprouvons toute la valeur de l’hospitalité : retrouver un peu d’un chez soi, loin de chez soi. C’est ce sujet que j’aimerais évoquer avec deux versets de l’Épitre aux Hébreux : « Que l'amour fraternel demeure. N’oubliez pas l’hospitalité, car en l’exerçant certains ont sans le savoir accueilli des anges. » (Hé 13.1-2).

L’hospitalité oubliée ?

Au premier siècle de notre ère, comme dans beaucoup de cultures aujourd’hui encore, l’hospitalité revêt une importance toute particulière. Les hôtels n’abondent pas dans tous les contextes et beaucoup se font encore un devoir d’accueillir dignement le voyageur de passage.

Les écrits du Nouveau Testament témoignent que le ministère des apôtres en a souvent bénéficié (Ac 16.15 ; 28.2 ; Rm 16.23 ; Ga 4.14). L’hospitalité était également nécessaire pour l’accueil des Églises dans les maisons (Rm 16.5,23 ; 1Co 16.19 ; Col 4.15 ; Phm 2). En l’absence de bâtiments spécifiquement dédiés au culte, les chrétiens se réunissaient chez des frères et sœurs prêts à ouvrir leurs portes. L’auteur de la lettre aux Hébreux n’est pas le seul à relayer l’exhortation de l’hospitalité. Dans le même contexte de la pratique de l’amour fraternel, on la retrouve également sous la plume de Paul (Rm 12.13) ou de Pierre (1P 4.9). Pour Paul, l’hospitalité est l’une des caractéristiques essentielles d’un responsable d’Église (1Tm 3.2 ; Tt 1.8).

Pourtant, l’auteur de l’épître aux Hébreux juge nécessaire de faire ce rappel à ses lecteurs : « N’oubliez pas l’hospitalité. » Malgré son importance sociale, et son rôle de manifestation de l’amour fraternel, l’hospitalité courait-elle le risque d’être oubliée ? Je suppose que oui. Et je le comprends.

Accueillir l’autre, que ce soit chez soi ou ailleurs, pour un repas ou pour une nuit, ou même simplement pour un temps partagé, n’est pas toujours évident. Il y a la crainte de celui que l’on ne connaît pas trop. Il y a le manque de temps, nos agendas bien remplis. Il y a les aléas de la vie qui nous tiennent parfois bien occupés. Il y a le manque de place ou de moyens. Maison, appartement, studio. Personne seule, couple, famille nombreuse. Nous ne sommes pas tous égaux à cet égard. Et le frigo n’est pas rempli de la même manière chez tout le monde.

Cependant, il nous faut rester lucides lorsque nous estimons que « nous n’avons pas la place ». Cette affirmation est restée associée dans ma tête aux importantes vagues migratoires connues par l’Europe en 2015, et depuis. Parcourant certaines rues de Bruxelles, face à de grands bâtiments ou dans des allées d’imposantes villas, la question me revient : où exactement n’avons-nous pas la place ? Il ne s’agit pas réellement d’une question d’espace physique. Si la place manque, c’est bien souvent ailleurs : dans nos politiques, dans nos budgets, dans nos programmes, dans le confort de notre routine et de nos habitudes…

La place manquerait-elle aussi dans notre cœur ? Quels que soient nos moyens concrets, je crois que c’est là que se décide réellement ce que nous pouvons faire. Et l’Écriture contient bien de quoi convertir nos cœurs à l’hospitalité.

L’hospitalité salutaire

L’argument de notre verset en faveur de l’hospitalité pourrait surprendre : « … en l’exerçant certains ont sans le savoir accueilli des anges. »

À qui l’auteur fait-il allusion ? On pourrait notamment penser à Abraham, accueillant trois hommes dont la nature semble même plus qu’angélique (Ge 18.1-15). Il y a Loth, accueillant deux de ces hommes auxquels il devra son salut (Ge 19.1-29). L’hospitalité de Rahab, si elle ne touche pas clairement des anges (mais le grec comme l’hébreu peuvent employer un même mot pour un ange ou un messager humain), a aussi de quoi nous encourager en ce sens (Jos 2).

table conviviale

L’hospitalité peut ainsi très littéralement nous sauver la vie. Pourtant, cela va bien au-delà. Des foyers hospitaliers seront une bénédiction pour tous, à commencer par leurs occupants. À diverses échelles, l’hospitalité crée un espace pour la rencontre avec l’autre, la découverte de différents modes de penser, de vivre. Elle permet le développement de liens plus forts au sein de la communauté chrétienne, car c’est bien, premièrement, dans ce contexte-là que les auteurs du Nouveau Testament pensent à l’hospitalité (Hé 13.1). À défaut d’accueillir des anges, ce sont tout de même des saints que nous recevons, ceux que Dieu aime et a mis à part (2Co 1.1). Quel privilège de découvrir ainsi nos frères et sœurs et leur manière de vivre avec le Seigneur. Cela a été une précieuse école de foi pour de nombreux jeunes chrétiens.

Que ce soit dans la confortable chambre d’une maison avec piscine ou sur le canapé du salon d’un appartement de banlieue, je suis reconnaissant envers le Seigneur pour l’accueil que j’ai reçu de la part de frères et sœurs à l’occasion des Assemblées générales de notre association. Dans toutes ces réalités de vie, notre Dieu est à l’œuvre. En ouvrant un peu nos portes les uns aux autres, nous nous donnons l’occasion de découvrir un peu mieux qui il est, et ce qu’il fait. L’hospitalité nous épargne de rester simplement tels que nous sommes, avec nos façons de penser et nos idées préconçues. Elle nous confronte à l’autre d’un peu plus près. J’y vois une grâce.

Il n’est pas nécessairement question de mettre les petits plats dans les grands. L’hospitalité peut revêtir toutes sortes de formes. « Mieux vaut un plat de légumes là où règne l’amour qu’un bœuf engraissé dans la maison de la haine. » (Pr 15.17). Il s’agira peut-être de bousculer un peu nos habitudes, certes, mais ceci peut se faire dans la simplicité. Tout n’a pas besoin d’être parfait ou grandiose.

Être hospitalier n’a pas non plus obligatoirement à voir avec l’espace dont nous disposons. Je me souviens du témoignage d’une personne qui ne se sentait pas en mesure d’accueillir un groupe de maison chez elle, mais qui apportait régulièrement quelques biscuits dans le groupe auquel elle participait, pour prendre sa part de l’accueil du groupe. Quel que soit le contexte, que ce soit un foyer, un repas, une discussion entre amis ou entre collègues, un temps à la sortie de l’Église, nous pouvons être hospitaliers dans notre manière de faire de la place à l’autre. Ce que nous avons, nous l’avons reçu de Dieu. Cela nous a été confié pour être géré avec sagesse et générosité.

Sagesse, pour savoir vivre des équilibres complexes entre l’intérêt de notre foyer et de ceux qui le composent et celui de ceux qui nous entourent. L’hospitalité ne peut pas toujours être pratiquée au même degré. Certaines périodes de la vie y laissent peut-être une place différente. Générosité aussi car notre hospitalité est appelée à refléter celle du Dieu qui nous a tout donné.

L’hospitalité de Dieu

Si l’Écriture nous invite à l’hospitalité, c’est avant tout parce que nous sommes les enfants d’un Dieu hospitalier. Il n’y a guère de texte biblique pour nous décrire la manière dont Jésus aurait reçu dans sa maison. Jean 1.38-39 évoque l’accueil qu’il fait à deux disciples « là où il habitait », mais il est incertain que cela ait été son propre chez lui.

Quoi qu’il en soit, notre Seigneur a généreusement accueilli des personnes de toute sorte. Pensez simplement aux enfants qu’il laisse perturber son enseignement (Mc 10.13-16). Lui qui n’avait pas de lieu où poser sa tête (Mt 8.20) était un refuge pour tous ceux qui s’approchaient de lui. Notre Dieu est un Dieu hospitalier. Il est celui qui est venu nous chercher là où nous étions, si loin de lui. À la Croix, il a payé le plus grand prix pour que nous puissions entrer dans sa maison. Il nous prépare une place dans cette maison (Jn 14.3). Il se décrit comme le Seigneur d’un grand banquet auquel il veut nous accueillir (Ap 19.9 cf. Mt 22.2-4 ; Lc 14.15 ; 22.16,30).

Dieu nous aime et veut nous accueillir auprès de lui. C’est cette hospitalité qui est première. C’est elle qui change nos perspectives sur l’accueil de l’autre, qu’il soit notre frère ou sœur dans la foi, ou un étranger. C’est son hospitalité qui nous donne le courage de prendre à notre tour quelques risques : accueillir ou nous laisser accueillir. Cette gratuité de Dieu à notre égard nous invite à agir de même à l’égard de nos semblables et à les laisser agir de même envers nous aussi. Oui, en effet, l’hospitalité chrétienne ne se donne pas seulement. Elle se reçoit aussi. Nous qui sommes chrétiens devrions savoir que nous ne pouvons pas toujours être les bienfaiteurs de notre entourage. Il y a un temps pour donner, et un temps pour recevoir, simplement, par égard pour Dieu. L’Évangile nous éloigne des logiques de redevabilité qui nous retiennent parfois.

femme qui ouvre une fenêtre

Dans ses beautés et ses défis, l’hospitalité fait partie des moyens mis à notre disposition pour grandir dans la connaissance non seulement de nos frères et sœurs et de nos prochains dans ce monde, mais aussi et surtout de notre Seigneur lui-même. En offrant ce que nous avons, nous nous rappelons de qui nous l’avons reçu. En accueillant l’autre, nous découvrons qui est celui que notre Dieu aime. En nous confrontant aux défis de nos différences, nous nous faisons une petite idée du chemin que notre Seigneur a parcouru pour nous rencontrer, de sa persévérance à notre égard. En laissant d’autres prendre soin de nous, nous nous souvenons que tout est grâce. Autant d’occasions de redécouvrir encore le Dieu que nous aimons.

Et aussi, tant d’occasions de lui rendre témoignage. Certes, il y a peut-être des circonstances où ils sont nécessaires dans ce monde déchu, mais les murs, les barbelés, les digicodes et les chiens méchants ne devraient pas être l’apanage des chrétiens. Qu’ils aient ou non un toit au-dessus de la tête, nos contemporains soupirent après d’espaces de chaleur, d’ouverture, de convivialité, de lumière. Au nom du Seigneur qui nous a offert chez lui un chez nous, nous sommes appelés à offrir de tels lieux.

N’oubliez pas l’hospitalité

N’oublions donc pas l’hospitalité. N’oublions pas l’hospitalité de Dieu. N’oublions pas les fruits que peut porter l'hospitalité : en nous, entre nous et dans le monde. Il existe bien des situations où notre part d’abondance peut porter de beaux fruits. Peut-être nous faut-il faire le point sur certaines difficultés que nous aurions à cet égard. Mesurons nos possibles et nos limites, mais ne nous laissons pas priver de si belles occasions de connaître le Dieu qui nous a accueillis si généreusement en Jésus-Christ.

Homme qui regarde par la fenêtre

Mesurons aussi l’étendue des besoins de ceux qui nous entourent, qu’ils soient ponctuels comme les nôtres après l’explosion qui nous a conduits temporairement hors de chez nous, ou plus durables dans certaines situations. Si notre cœur y est disposé, je ne doute pas que nous trouverons de belles manières de vivre encore l’hospitalité.

« Que l'amour fraternel demeure. N’oubliez pas l’hospitalité, car en l’exerçant certains ont sans le savoir accueilli des anges. » (Hébreux 13.1-2).

Article paru dans :

novembre 2021

Rubrique :
À Bible ouverte
Mots-clés :
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